Des élections régionales de portée nationale
Au-delà du résultat dans chaque Région, le scrutin des 13 et 20 juin prend une importance accrue, en raison de la personnalité des candidats et de la proximité de l’élection présidentielle.
Même si les élections départementales, qui auront lieu en même temps, sont également de première importance, c’est surtout vers le scrutin régional que les yeux des observateurs vont être tournés dans les trois mois qui viennent. En espérant une participation au moins aussi forte qu’en 2015 (49,91 % au premier tour, 58,41 % au second), d’autant que c’est la première fois que les Français voteront le même jour pour élire à la fois les conseillers régionaux et départementaux.
Ces élections régionales seront très différentes des précédentes, qui avaient eu lieu les 6 et 13 décembre 2015. Pour trois séries de raisons.
- La présence massive des sortants
L’élection de 2015 avait été marquée par deux phénomènes majeurs.
D’abord, c’était la première fois que les électeurs étaient appelés à voter dans le cadre des nouvelles “grandes Régions” issues de la loi NOTRe. La moitié des anciens conseils régionaux étaient, du même coup, purement et simplement rayés de la carte.
Ensuite, une génération complète d’élus en fin de carrière politique passait en quelque sorte la main. Exit les Jean-Paul Huchon, Jacques Auxiette, Martin Malvy, Daniel Percheron, Claude Gewerc, Jean-Paul Bachy ou Michel Vauzelle. Si l’on y ajoute la défaite de trois présidents sortants (Jean-Jack Queyranne en Auvergne-Rhône-Alpes, Nicolas Mayer-Rossignol en Normandie et Jean-Pierre Masseret en Lorraine), c’est à un très large renouvellement des présidents de Région que nous avions assisté à l’époque. Seuls François Bonneau (PS, Centre-Val de Loire), Alain Rousset (PS, Nouvelle-Aquitaine) et Philippe Richert (LR, Alsace puis Grand Est) avaient échappé à ce jeu de massacre, volontaire ou subi.
Il en va très différemment cette fois. A l’heure où nous écrivons ces lignes, et même si quelques “sortants” n’ont pas encore annoncé leurs intentions, on peut penser que la majorité, sinon la totalité des présidents actuels, se représentera. Ce qui donne évidemment une toute autre tonalité à l’élection, même si la “prime au sortant” ne joue sans doute pas de manière aussi forte pour un président de Région que pour un maire, par exemple.
- La personnalité nationale de certains candidats
On l’a dit, c’est une génération plus jeune qui s’est emparée du pouvoir régional en 2015. Plus jeune, et pour quelques-uns des nouveaux élus, non dénuée d’ambitions nationales. Ce qui, à un an du rendez-vous présidentiel, donne au scrutin de ce mois de juin une toute autre dimension.
Xavier Bertrand (Hauts-de-France) a clairement fait savoir qu’il s’appuierait sur les résultats des élections régionales pour asseoir son éventuelle candidature à la présidentielle, et semble du même coup avoir pris de l’avance sur ses principaux rivaux à droite. Valérie Pécresse (Île-de-France), Laurent Wauquiez (Auvergne-Rhône-Alpes), mais aussi Hervé Morin (Normandie) ou Bruno Retailleau (Pays de la Loire, même s’il ne préside plus cette Région) peuvent être, en fonction du résultat de juin, tentés de franchir la très haute marche qui sépare un scrutin territorial de l’élection suprême de notre Vème République.
On peut toutefois espérer que les enjeux régionaux, plus importants que jamais en ces temps de crise sanitaire, économique et sociale que connaît la France, ne vont pas passer au second plan derrière des ambitions, certes légitimes, mais en décalage avec le scrutin régional lui-même.
- Une véritable incertitude politique
On l’a dit, la “prime aux sortants” va évidemment jouer, mais sans entrer dans le petit jeu des pronostics, toujours aléatoire, il faut pondérer ce phénomène, au moins pour trois raisons.
D’abord, quatre présidents sortants n’ont pas été choisis en 2015. Leur élection en cours de mandat a fait suite à la démission du président élu. Il s’agit de Renaud Muselier (Région Sud), qui a remplacé Christian Estrosi ; de Loïg Chesnais-Girard (Bretagne), qui a remplacé Jean-Yves Le Drian ; de Jean Rottner (Grand Est), qui a succédé à Philippe Richert ; et de Christelle Morançais (Pays de la Loire), qui a succédé à Bruno Retailleau.
Quel que soit le travail réalisé par ces élus, quelle que soit la notoriété acquise en cours de mandat (on pense par exemple à Jean Rottner, en première ligne avec sa Région Grand Est face à l’épidémie), ils sont dans une situation différente de présidents déjà élus sur leur nom propre en 2015. Il est clair par exemple que les Bretons ont d’abord voté pour Jean-Yves Le Drian, avant d’élire un président socialiste (à l’époque).
Ensuite, certains scrutins avaient été particulièrement serrés en 2015. Hervé Morin (Les Centristes) l’avait emporté avec 0,37 % des voix d’avance sur Nicolas Mayer-Rossignol (PS), en Normandie ; François Bonneau (PS) avec 0,84 % de voix sur Philippe Vigier (UDI) en Centre-Val de Loire, pour ne citer que ces deux exemples.
Enfin, il faut rappeler que dans deux Régions, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Hauts-de-France, le candidat de gauche s’était retiré entre les deux tours pour créer un “Front Républicain” et barrer la route aux candidates du Rassemblement National, Marion Maréchal-le Pen au sud et sa tante Marine Le Pen au nord, très bien placées toutes les deux à l’issue du premier tour. Ce “sacrifice”, qui a conduit les partis de gauche à n’avoir aucun élu dans ces deux assemblées depuis six ans, ne se reproduira pas.
Dans ces conditions, il est bien difficile de se livrer au jeu des pronostics. En 2015, les sondages laissaient entrevoir un “raz-de-marée “ en faveur de la droite, voire l’extrême-droite. A l’arrivée, le Parti socialiste avait conservé cinq régions sur les 12 de métropole, et le Front National n’en avait enlevé aucune.
Cette fois-ci, on peut penser que le Rassemblement national va maintenir ses positions, et l’on peut attendre une poussée écologiste de même nature que lors des dernières municipales. On peut aussi craindre, pour La République en Marche, qu’elle ne subisse une nouvelle défaite, et peut-être même une véritable déroute si LREM ne remportait aucune présidence de Région ou de Département. D’où la réticence affichée de certains ministres à aller au “casse-pipe”, à l’image de Jean-Michel Blanquer en Île-de-France.
Il est clair enfin que certains résultats seront serrés jusqu’au bout, surtout si l’on se trouve dans le cas de triangulaires, voire de quadrangulaires de second tour, ce qui est possible aux élections régionales. Une situation qui ne pourra que renforcer l’incertitude du résultat, surtout dans le cas d’une abstention massive.
Philippe Martin
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