Autopsie d’un fiasco
Le renoncement à l’aéroport du Grand Ouest représente pour toute une région un échec économique, mais aussi démocratique.
Philippe Martin
Le renoncement à l’aéroport du Grand Ouest représente pour toute une région un échec économique, mais aussi démocratique.
“Bien sûr, il y a le bruit, ces avions qui passent au-dessus des maisons, beaucoup trop bas à notre goût. Mais ça, au bout d’un moment, on finirait presque par s’habituer. En revanche, il reste l’inquiétude : et si un jour un de ces monstres connaissait une défaillance, au décollage ou à l’atterrissage, et venait s’écraser sur une zone d’habitat très dense ? Vous imaginez le nombre de victimes ?” Lionel Z. fait partie de ces milliers de Nantais qui vivent à proximité de l’aéroport de Nantes-Atlantique, voient passer les avions au-dessus de leurs têtes, et rêvaient depuis des années que commencent les travaux sur le site de Notre-Dame-des-Landes. Espoir définitivement enterré après l’annonce par le Premier ministre Edouard Philippe, le 17 janvier, que l’Etat renonçait définitivement au projet de l’aéroport du Grand Ouest. En réalité, Lionel Z. fait partie de ceux que, dans cette affaire, l’on n’a pas écouté, ni même entendu.
Elle est longue, dans cette affaire, la liste de tous ceux qui n’ont pas été entendus.
Pas entendus, les élus de tout l’ouest de la France, et en particulier les six principales collectivités concernées (régions Bretagne et Pays de la Loire, département de Loire-Atlantique, Nantes-Métropole, Cap Atlantique et agglomération de Saint-Nazaire) qui, le 12 janvier, avaient pourtant réitéré devant le Premier ministre leur unanimité en faveur de l’aéroport du Grand Ouest. Rappelant les enjeux économiques fondamentaux de ce projet pour toute une région fortement enclavée. Relevant une fois encore “les importantes lacunes du rapport des médiateurs et les contre-vérités manifestes qui ont été écrites”, selon les propres termes du SMA, le syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest qui les rassemble. Ces représentants d’élus avaient eu l’impression que le Premier ministre tiendrait compte de leur avis. D’où leur profonde déception, et la colère d’élus de tous bords politiques, de la maire (PS) de Nantes Johanna Rolland à la présidente (LR) des Pays de la Loire Christelle Morançais.
Pas entendus, les juges de toutes juridictions françaises confondues qui, à 179 reprises au cours des dix dernières années, ont rejeté tous les recours intentés par les adversaires du projet. Pas une seule décision de justice ne leur a donné raison, malgré la pression judicaire constante exercée par l’intermédiaire des cabinets d’avocats les plus réputés.
Pas entendus, les dizaines de milliers de chefs d’entreprises qui, dans de très nombreuses interventions, ont fait savoir à quel point ce projet pesait lourd dans l’avenir économique d’un territoire de 8 millions d’habitants, ne serait-ce que par les 10.000 créations d’emplois qu’il allait entraîner à court ou moyen terme.
Pas entendus, les 975.000 électeurs de Loire-Atlantique qui, le 26 juin 2016, ont voté à 55,17 % en faveur du projet, à l’occasion d’un référendum local qui, par un tour de passe-passe du gouvernement, est devenu une simple “consultation” dont on n’aurait donc pas à tenir compte. Contrairement à ce que le futur président de la République alors candidat à l’élection présidentielle Emmanuel Macron avait affirmé avec force et à de multiples reprises : “on a consulté le peuple dans un périmètre qui a été défini, il s’est exprimé, je suis pour respecter cette décision”, lançait-il par exemple le 1er février 2017. Répétant le 6 avril dans “L’émission politique” sur France 2 : “il faut faire très attention au message négatif que l’on envoie : on ne peut pas ne pas respecter les décisions publiques quand elles ne nous arrangent pas”. Simple rappel : sur les 212 communes concernées par le projet, 178 y ont répondu “oui” au transfert lors du référendum. Y compris la ville de Nantes.
Pas entendus, tout simplement, les Français qui, dans un sondage IFOP du 16 janvier, se prononçaient à 58 % pour le transfert de l’aéroport, estimant à 55 % qu’un “renoncement reviendrait à céder aux zadistes”, et à 54 % que cet abandon constituerait “un déni de démocratie”.
Mais au fait, qui a-t-on entendu au juste ? Deux partis politiques seulement se sont prononcés avec constance contre le projet du futur aéroport : Europe-Ecologie-les-Verts et le Front National, réunis dans une bien curieuse alliance. Mais aucun des deux ne dirige une importante collectivité dans la région du Grand Ouest. Une poignée d’irréductibles agriculteurs qui ont refusé toutes les compensations proposées depuis 2008 par l’Etat et la Chambre d’agriculture. Sur les 40 exploitations concernées, 33 ont été relocalisées depuis plusieurs années dans un rayon de moins de cinq kilomètres de leurs anciennes terres, à la satisfaction des agriculteurs concernés. Ceux-là non plus, d’ailleurs, on ne leur donne guère la parole.
Et puis surtout 300 à 500 “zadistes”, occupant sans droit et depuis des années le territoire de la zone à aménager, les seuls à faire la fête le soir de l’annonce gouvernementale. D’autant que leur évacuation, pourtant annoncée à grands coups de menton, n’est visiblement pas pour tout de suite. Si elle a lieu un jour. Le “contexte d’opposition exacerbée” dont a fait état le Premier ministre dans son intervention se résume donc bien à l’incapacité des gouvernements successifs, y compris l’actuel, à faire respecter la loi sur un territoire de la République.
Le réaménagement de l’actuel aéroport recèle de nombreuses difficultés, financières, techniques et juridiques.
Et maintenant ? Le réaménagement de l’actuel aéroport, annoncé par Edouard Philippe comme une panacée que l’on viendrait de découvrir, recèle de multiples difficultés.
Difficultés financières d’abord. Les “médiateurs ” nommés par le gouvernement estiment qu’il coûtera entre 365 et 460 M€, alors que les partisans du transfert envisagent plutôt une dépense de l’ordre de 700 M€. Mais il faudra y ajouter l’indemnisation que l’Etat va devoir verser à Vinci, qui avait obtenu la concession aéroportuaire pour une durée de 55 ans. La fourchette haute de cette somme est estimée à 350 M€.
Dans l’hypothèse la plus pessimiste, on pourrait donc atteindre ou dépasser le milliard d’euros, en gros ce qu’avait coûté l’abandon de l’écotaxe. Rappelons pour mémoire que le coût des travaux de construction du nouvel aéroport était fixé par l’aménageur lui-même à 561 M€, dont 310 financés par Vinci, 130 par l’Etat et environ 115 par les collectivités locales…
Difficultés techniques ensuite. L’actuel aéroport se trouve lui aussi à proximité d’une zone humide. Les travaux s’annoncent donc particulièrement délicats, ne permettant qu’un allongement “modeste” de l’actuelle piste (de 2.900 à 3.400 mètres), selon Edouard Philippe lui-même, ce qui ne permettra en aucun cas d’accueillir les gros porteurs qui auraient permis au Grand Ouest de bénéficier d’une véritable liaison internationale. Et de franchir un cap sur le plan touristique.
Sans compter qu’il faudra fermer tout ou partie de l’aéroport pendant des semaines pour pouvoir le réaménager. Rappelons qu’il a accueilli en 2017 plus de 5,5 millions de passagers, et devrait voir leur nombre dépasser les 6 millions dès 2018, provoquant plus d’une centaine de jours de saturation, pendant lesquels il ne peut accueillir autant de vols que souhaité.
Difficultés juridiques enfin. Dans leur rapport, les “médiateurs” estiment que les travaux pourraient commencer d’ici deux à trois ans. Ce dans l’hypothèse où aucun recours juridique ne viendrait retarder le processus. Hypothèse bien improbable dans la mesure où cet agrandissement aura un impact très négatif sur des bassins sensibles comme la réserve naturelle de Grand-Lieu et l’Estuaire de la Loire, situés à proximité immédiate et beaucoup plus protégés que… Notre-Dame-des-Landes ! Or il faudra bien lancer une nouvelle DUP (Déclaration d’utilité publique) pour l’extension de la piste. Ainsi qu’un nouvel appel d’offres, car on ne pourra se contenter d’un avenant qui confierait à Vinci, non pas la construction d’un nouvel aéroport, mais le réaménagement de l’actuel. Selon les spécialistes, l’extension telle que l’ont envisagée les “médiateurs” n’a guère chance de se réaliser avant 2035…
A cette époque, on peut craindre que la saturation déjà constatée ait pris des proportions bien plus dramatiques. Sans qu’aucun des problèmes actuels (bruit, sécurité, enclavement de toute une région, impossibilité de développement à l’international) n’ait évidemment été réglé. Difficile dans ces conditions de ne pas parler de fiasco.