L’industrie, c’est en région que ça se passe
La nécessaire réindustrialisation de notre pays passera forcément par les territoires. Encore faut-il qu’on leur en donne les moyens.
C’est un chiffre qui fait froid dans le dos. Dans l’Union Européenne, la France est avant-dernière en ce qui concerne la place de l’industrie dans son économie : 27ème sur 28, juste devant… la Grèce. A l’ère de la “start-up nation” si chère à notre président de la République, il est utile de rappeler constamment à quel point notre industrie a été frappée, laminée, broyée par les crises successives au cours des vingt dernières années, sans qu’aucun gouvernement ne parvienne à enrayer le cours des choses : depuis 2008, la France a encore détruit plus de 600 usines.
Or notre industrie est toujours bien vivante, et même souvent ne demande qu’à renaître de ses cendres. Elle possède encore de superbes fleurons, survivants des grands groupes industriels, et aussi des centaines d’ETI (entreprises de taille intermédiaire), et de PME dynamiques et innovantes. Elle représente un vivier d’emplois bien plus qualifiés que jadis, mais pour lesquels elle peine souvent à trouver de la main d’œuvre. C’est pourquoi toute tentative pour amorcer la réindustrialisation de notre pays vaut d’être examinée avec attention et davantage encore soutenue.

Annabel André-Laurent expose la stratégie de sa région devant Boris Ravignon.
Hervé Morin, président de Régions de France et aussi de cette grande région industrielle qu’est la Normandie, estime pour sa part que ce processus ne peut être impulsé d’“en haut”, mais doit au contraire s’appuyer sur un ancrage régional. Le colloque organisé le 9 octobre dernier par Régions de France en collaboration avec la Fondation Concorde et la Banque des Territoires-Caisse des Dépôts, l’a amplement démontré. Son intitulé résonnant d’ailleurs comme un programme : “Industrie : la reconquête par les territoires”.
Le constat d’Hervé Morin se veut réaliste, et même parfois accablant : “les Régions françaises dépensent 800 M€ par an pour l’innovation et les Länder allemands plus de 10 Md€. Le bon schéma pour l’industrie est un schéma très décentralisé”. Et de prendre en exemple la gestion des ports. Alors que les grands ports européens sont gérés par “l’association du territoire et du secteur privé, moi j’attends le 47ème arbitrage de Bercy sur le retour sur investissement du port du Havre”. Opposant la lourdeur du processus de décision de l’Etat à l’efficacité des outils de politique industrielle de sa Région, il rappelle que la Normandie est la “seule Région à avoir créé un fonds de prêts participatifs” : son fonds de retournement a déjà aidé 400 entreprises et sauvé 11.000 emplois.
La “boule de neige du désir d’industrie”
Fin observateur de toutes les initiatives économiques, Nicolas Dufourcq, le patron de Bpifrance, n’hésite pas à l’affirmer fort et clair : les Régions jouent un rôle essentiel pour créer un écosystème favorable au développement : “Bpifrance a de très bons partenariats avec les Régions. Dans les régions nos collaborateurs travaillent très bien ensemble. Les Régions c’est la France moderne !”, affirme-t-il avec force. En ajoutant : “il faut créer un effet boule de neige, la boule de neige du désir d’industrie…”
Mais qu’en pensent les premiers concernés, à savoir les patrons d’industrie ? Certains sont au diapason, tels Henri Poupart-Lafarge, président-directeur-général d’Alstom, qui insiste sur la compétence des Régions en matière de formation et d’apprentissage : “la formation doit se faire au plus proche du terrain. Les gens ne sont pas mobiles. Il faut de la formation sur les territoires au service des usines du territoire !”. Dommage, vraiment, que les Régions se voient privées dès 2019 de cette compétence apprentissage…
Certaines régions semblent avoir trouvé la bonne méthode, si l’on en croit Annabel André-Laurent, vice-présidente au développement économique en Auvergne-Rhône-Alpes, et co-présidente de la Commission Développement économique de Régions de France. “Nous accompagnons les entreprises. Notre mission, c’est de leur simplifier la vie. Pour le reste, elles savent très bien faire ce qu’il faut pour trouver de nouveaux marchés, se développer”. Résultat : sa région présente une balance commerciale nettement excédentaire.

C’est Gisèle Rossat-Mignod, directrice du réseau de la Banque des Territoires-Caisse des Dépôts, qui a introduit les travaux.
La fiscalité et la formation, questions centrales
Et la question des ETI reste centrale, car ainsi que le rappelle Frédéric Coirier, co-président du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI) et président du directoire de Poujoulat, “plus on ouvrira des usines, plus les territoires iront bien, car 70 % des sièges d’ETI sont en Région”. Ces huit dernières années, les ETI françaises ont créé 350.000 emplois, et pour chaque emploi industriel créé, “c’est deux à trois emplois de services en plus. Même si nos ETI sont quatre fois plus petites qu’en Allemagne”. La question fiscale reste évidemment centrale, et elle continue d’inquiéter le Medef à l’image de son vice-président Patrick Martin, qui “regrette le poids des taxes de production dans notre pays”, et s’inquiète de ne pas voir l’actuel gouvernement s’en préoccuper. Même si, pour Hervé Novelli, président du conseil d’orientation de la Fondation Concorde et ancien ministre des PME, “il faut redonner du pouvoir aux collectivités locales en matière de fiscalité. Par le jeu de la concurrence, les impôts n’en seraient pas alourdis”. Mais la question de la formation et de l’orientation vers les métiers de l’industrie l’est tout autant, Boris Ravignon, président de la communauté Ardenne Métropole et représentant de l’Assemblée des communautés de France (ADCF) rappelle à quel point “la décentralisation du service public de l’orientation est un sujet essentiel pour attirer les jeunes vers l’industrie : on a des formations magnifiques qui ne font pas le plein !”.
Bref, il y a de quoi alimenter largement le “Pacte girondin” que les présidents de Région mettent au point. Encore faudra-t-il en convaincre un exécutif assez silencieux sur ces thématiques. Car il n’aura échappé à personne que si le dernier gouvernement en date compte bien un ministre de l’Agriculture, on y cherche désespérément un ministre de l’Industrie.
Dans le prochain numéro de Régions Magazine
Le point sur la réindustrialisation dans les territoires
Le processus de réindustrialisation de la France est-il réellement enclenché ? Quelles sont les initiatives régionales qui peuvent redonner un nouveau souffle à une industrie ne demandant qu’à rénover son image, à créer des emplois et à attirer des jeunes séduits par ses offres d’embauche ? Quels sont les obstacles, les handicaps ? Régions Magazine fera le point sur les initiatives prises par les Régions, les réussites, les échecs et les raisons d’espérer.
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