LES DOSSIERS DE RÉGIONS MAGAZINE
Philippe Martin
14 décembre 2018
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Installation de la centrale éolienne de Grande-Rivière, en Martinique, qui va produire l’équivalent de la consommation électrique de 10.000 habitants.

COP 21 : le vrai bilan

Trois ans après le rendez-vous mondial de Paris, les territoires ont fait leur travail. Mais la trajectoire reste très insuffisante, faute d’ambition au plus haut niveau de l’Etat.

C’est un chiffre surprenant, implacable, et pourtant curieusement passé inaperçu. Une récente étude de l’OCDE intitulée “Financing Climate Futures” a calculé la proportion des investissements liés à la transition écologique et réalisés entre 2000 et 2016, entre les Etats centraux et les “subnational governements”, en clair les différents niveaux de collectivités. Avec 90 % des dépenses venant des territoires, la France se situe en troisième position dans ce tableau que nous publions ci-contre, juste derrière le Japon et la Belgique, loin, très loin devant l’Allemagne, l’Italie ou le Royaume Uni. Mais cette place sur le “podium” est loin de constituer une bonne nouvelle. 

Faut-il y voir en effet la marque d’une décentralisation réussie dans le domaine énergétique ? Malheureusement, c’est loin d’être sûr. Cela signifie plutôt que, malgré les rodomontades des ministres successifs, l’Etat n’a pas suffisamment investi au cours des quinze dernières années dans ce secteur-clé pour notre avenir. Et que ce sont bien les collectivités, malgré les limites de leurs moyens, qui assurent l’essentiel du travail. Quand on pense que le président de la République Emmanuel Macron, en créant un Haut-Commissariat au climat, n’a même pas pensé à y laisser une seule place pour les représentants de ces territoires qui pèsent 90 % de l’investissement écologique…

Pourtant, il y a tout juste trois ans, la France donnait en quelque sorte la leçon à la planète toute entière, réunie à Paris sous l’égide de la COP 21. Déjà, à l’époque, Régions Magazine n’hésitait pas à titrer en première page de son supplément distribué sur le site de la Conférence : “COP 21 : les territoires donnent l’exemple”. “Des régions, des villes, des associations, des entreprises agissent depuis des années, avec efficacité et pragmatisme”, écrivions-nous à l’époque. C’était déjà vrai, et ça l’est resté.

Pourtant, la loi “relative à la transition énergétique pour la croissance verte”, adoptée le 17 août 2015 et présentée par la ministre de l’époque Ségolène Royal comme une avancée décisive, aurait dû permettre à la France de tenir le bon cap. Mais au-delà des effets de manche, que s’est-il réellement passé ? Il suffit de se plonger dans le rapport du CESE (Comité économique, social et environnemental) du 28 février 2018, pour en découvrir le vrai bilan.

“Malgré les nombreuses initiatives qui se sont développées, écrivent les experts du CESE, l’économie française ne se trouve pas encore sur une trajectoire permettant d’espérer atteindre les objectifs fixés. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) ont augmenté de nouveau en 2015 et 2016. Celles des transports ne fléchissent pas, dans le secteur du logement et du tertiaire les objectifs de rénovation énergétique sont loin d’être atteints et la France demeure un des pays d’Europe les plus en retard dans le déploiement des énergies renouvelables. Les moyens mis au service de la transition énergétique demeurent insuffisants et leur stabilité n’est pas assurée.”

Ce passage du rapport est très important, car il rappelle que la transition énergétique n’est pas seulement liée aux énergies nouvelles, très loin de là. Car les émissions des CO2 sont d’abord liées aux transports et au logement. C’est pourquoi les retards pris dans le domaine de la mobilité et l’isolation des bâtiments sont à coup sûr plus catastrophiques, voire davantage, que le non-développement de l’hydrolien ou du photovoltaïque.

En ce qui concerne le pilotage national, le CESE est tout aussi sévère : “de nombreuses instances traitent de ce sujet mais leur articulation reste peu claire. Des questions difficiles comme le nucléaire ou les agrocarburants n’ont pas été tranchées lors des premières programmations. Le suivi des indicateurs est insuffisant et ne permet pas de mesures correctives. Cela concerne en particulier la question des compétences, des qualifications et de la formation professionnelle, facteur clé de la transition. Enfin les moyens d’assurer une cohérence entre les orientations prises aux niveaux local et régional et national sont quasi inexistants.”

Enfin, la conclusion, qui concerne directement les collectivités, n’est guère plus optimiste : “la Loi de transition énergétique, écrit le rapport, a reconnu la place centrale des territoires dans la transition énergétique. Mais les collectivités locales n’ont pas été dotées de moyens supplémentaires pour assurer cette mission. Et, il y a même lieu de redouter que, dans un contexte de rigueur budgétaire accrue, elles aient des difficultés à poursuivre leurs actions en faveur de la rénovation des bâtiments, du développement des transports collectifs, du déploiement des énergies renouvelables ou encore de la mise en place du Service public de la performance énergétique de l’habitat (SPPEH) prévu par la loi.”

On est loin des effets de manche déployées par celle qui est aujourd’hui “ministre des pôles”… Dont la mesure la plus spectaculaire restera la suppression brutale de l’écotaxe et sa triple conséquence : un milliard d’euros de remboursement par l’Etat à la compagnie Ecomouv’ qui était chargée de percevoir la taxe, huit milliards d’euros de recettes fiscales perdues, et surtout, la hausse de la TICPE (taxe sur les carburants), dont on paie encore aujourd’hui les conséquences.

Car c’est bien cette taxe, ou tout ce qui s’en rapproche, qui donne aujourd’hui à l’écologie cette allure punitive, qui provoque la colère des Français et a mis les Gilets Jaunes dans la rue. Malheureusement, pendant ce temps, la situation s’est aggravée. Considérablement.

Faut-il rappeler le rapport du GIEC (Groupement intergouvernemental pour l’évolution du climat) publié début octobre, rapport commandé par les Nations-Unies, et ses terribles conclusions ? Selon ses experts, le seuil de 1,5 ° de réchauffement devrait être atteint entre 2030 et 2050. Et les + 3 ° avant la fin du siècle ! A ce rythme, “le climat ne pourra plus être maîtrisé et les catastrophes météorologiques seront quotidiennes”. Un scénario digne du film “Le Jour d’Après” et dont on voit un peu plus que les prémices ces dernières années, et même sur ce seul été, entre canicule et inondations…

Certes, la part des énergies renouvelables a nettement progressé au cours des dernières années, sous l’impulsion des territoires et des énergéticiens comme EDF, ainsi que le démontre le tableau que nous publions ci-contre. Mais on pouvait attendre davantage de la nouvelle Programmation Pluriannuelle de l’Energie dévoilée le 28 novembre par le président de la République et son deuxième ministre de l’Environnement François de Rugy. D’autant plus que les annonces, pourtant non négligeables, ont été quelque peu noyées dans les revendications des Gilets Jaunes. 

Et si l’on prend le cas significatif de l’éolien marin, le manque d’ambition du nouveau ministre n’a fait que provoquer une nouvelle réaction indignée de l’ensemble des présidents des Régions concernées par ces projets (lire en encadré).

C’est donc encore une fois du côté des territoires qu’il faut chercher des raisons d’espérer. Le tour de France des initiatives auquel nous vous invitons dans le dossier qui suit démontre que les choses avancent, un peu partout, pour peu qu’il y ait une volonté de faire. Mais il faudra une ambition beaucoup plus forte au plus haut niveau de l’Etat pour aller encore plus loin. 

 


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Le 15 novembre, signature à Dunkerque de contrats de projets éoliens en mer, par le Premier ministre Edouard Philippe et le ministre de l’environnement François de Rugy. Six­ projets de parc sont ainsi confirmés. Mais le soutien de l’Etat baisse fortement, de 40 à 25 milliards d’euros….

Le président n’a pas convaincu les Régions

“Cela ne répond absolument pas au cri de colère extrêmement profond de nos compatriotes, à cette fracture territoriale : il y a urgence à répondre à leur exaspération. La réponse n’est pas à la hauteur, même si le président de la République a au moins cessé de stigmatiser les manifestants.” Voilà la première réaction d’Hervé Morin, président de Régions de France, après l’intervention d’Emmanuel Macron le 27 novembre.

Pour sa part, Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, a jugé que le président de la République n’avait “toujours pas compris le mouvement des gilets jaunes ni la colère exprimée”. Selon lui, la seule réponse du chef de l’État est un “cours d’écologie et un dispositif administratif très complexe. Or nous sommes dans une situation de blocage, lourde. Et pour sortir de ce blocage, il faut rendre la parole aux Français.” Et de réclamer un référendum sur la transition énergétique.

Les présidents de Région étaient pourtant au premier rang de la salle de l’Elysée où le président de la République a dévoilé les grandes orientations de la programmation pluriannuelle de l’énergie. Il est vrai que cette feuille de route, qui fixe le cap pour les dix prochaines années, est passée quelque peu inaperçue face à la colère des Gilets Jaunes.

Pourtant, sur les vingt orientations tracées par Emmanuel Macron, et complétées ensuite par le ministre de l’Ecologie François de Rugy, une dizaine concernent les collectivités. L’effort porté sur les énergies renouvelables (soutien passant de 5 à 8 milliards d’euros), avec un triplement de l’éolien terrestre ou la multiplication du photovoltaïque, les quatre nouveaux appels d’offre lancés sur l’éolien en mer, les mesures en faveur du biocarburant, n’ont pas suffi à gommer l’impression d’“écologie punitive” que donne l’augmentation systématique (et confirmée) des taxes sur l’essence, en particulier sur le diesel.

Et ce malgré l’adaptation annoncée de la fiscalité des carburants aux fluctuations de prix. Et l’annonce d’une “grande concertation de terrain sur la transition écologique et sociale”, rassemblant associations, élus et représentants de gilets jaunes, pour élaborer ensemble des solutions dans les trois mois qui viennent. 

Parmi les différentes mesures annoncées par le président de la République :

La fermeture de 14 réacteurs nucléaires d’ici à 2035 (mais la décision de construire de nouveaux EPR est repoussée à 2021).

Le passage de 7 à 8 milliards d’euros par an d’investissement pour développer les énergies renouvelables et atteindre 40 % d’ici à 2030, contre 17 % aujourd’hui.

L’objectif de faire passer le gaz renouvelable de 0,1 % à 10 % d’ici à 2020, grâce au développement du biométhane.

Le passage de 7 à 15 % de carburants renouvelables d’ici à 2030.

Le passage du Fonds chaleur, géré par l’ADEME, de 245 M€ à 350 M€ dès 2020 (la loi de 2015 prévoyait 400 M€…).

La mise en service de 4,8 millions de voitures électriques d’ici à 2028 (avec le financement d’un million de primes à la conversion d’ici 2023).

Le remplacement d’un million de chaudières au fuel d’ici à 2023, et le raccordement de 3,4 millions de logements à un réseau de chaleur. 

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