Le grand retour de l’île intense
Depuis plusieurs années, le tourisme réunionnais connaît une progression à deux chiffres. Grâce à une qualité d’accueil unique, à la beauté naturelle de l’île, mais aussi à des stratégies adaptées. Décryptage des atouts… et des handicaps.
Philippe Martin
Depuis plusieurs années, le tourisme réunionnais connaît une progression à deux chiffres. Grâce à une qualité d’accueil unique, à la beauté naturelle de l’île, mais aussi à des stratégies adaptées. Décryptage des atouts… et des handicaps.
La plage de sable gris foncé scintille sous le soleil de midi. Juste derrière, l’adorable cimetière marin de Saint-Paul étage ses tombes historiques, où de grandes familles de l’île côtoient des marins bretons ayant fait naufrage sur les traîtres rochers tout proches. L’eau cristalline, au moins à 28 degrés, incite plus que jamais à la baignade, mais elle reste vide d’occupants. C’est qu’à l’entrée de chaque allée menant au littoral, d’énormes panneaux avertissent le baigneur audacieux : “Danger, risque de présence de requins”. Avec son corollaire : “baignade interdite, surf, bodyboard, paddel interdits”. “Et pourtant, ici, je vous jure qu’on n’a jamais vu la queue d’un requin”, soupire le patron du très joli restaurant de plage, qui refuse néanmoins du monde.
“D’ailleurs, et contrairement à ce que l’on peut penser depuis la métropole, 24 kilomètres de lagon répartis entre les côtes ouest et sud permettent une baignade sécurisée. Des filets anti-requins (lire en encadré) ont par ailleurs été réinstallés sur les plages de Boucan Canot et des Roches Noires, sur la commune de Saint-Paul”, précise Stephan Ulliac, directeur général (par intérim) de l’IRT, Ile de la Réunion Tourisme, l’organisme de la Région qui chapeaute la stratégie touristique de l’île. Et même si un drame s’est encore produit au mois de janvier avec une attaque mortelle de requin sur un baigneur, il faut souligner que l’immense majorité de ces accidents s’est justement produite sur des zones totalement interdites à la baignade.
Pourtant, à la fin de 2018, ce ne sont pas les requins, mais plutôt les gilets jaunes qui ont, bien involontairement, fait plonger la performance touristique réunionnaise. Les images du blocage complet de l’île, relayées largement par les médias nationaux, ont assurément contribué à faire fuir les hésitants ou les voyageurs de “dernière minute”. Et ce, même si ledit blocage s’est achevé aussi brutalement qu’il avait commencé.
“C’est dommage, bien sûr, déplore Stephan Ulliac, car jusqu’au mois d’octobre nous étions sur une progression à deux points par rapport aux mois de l’année précédente, et nous pouvions envisager de dépasser pour la première fois le cap des 600.000 visiteurs, en additionnant touristes et croisiéristes”. Au lieu de cela, il faudra se “contenter” d’un bon 530.000, ce qui marque tout de même une nouvelle progression par rapport aux années précédentes, elles-mêmes déjà en hausse.
C’est qu’après s’être un peu cherchée, et avoir même cherché son slogan, La Réunion est bien repartie. Oui, c’est le retour de “l’île intense”, cette expression qui lui va comme un gant, un peu comme “l’île de Beauté” pour la Corse. Cette thématique avait pourtant été abandonnée, mais elle a été relancée, ce qui paraît une vraie bonne idée. Tant elle correspond aux atouts, assez unique, de ce territoire français de l’Océan Indien.
A commencer par la sécurité et ce goût pour le “vivre ensemble” que cultivent les habitants de l’île, et que l’on retrouve dans la gentillesse de leur accueil. “Malgré les gilets jaunes, cela reste le point le plus positif qui ressort d’une enquête sur la perception de La Réunion par ses visiteurs, enquête dont nous venons juste de recevoir les résultats”, précise le directeur général de l’IRT.
Bien sûr, La Réunion regorge d’autres atouts, à commencer par la nature avec plus de 40 % de sa surface classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, et ses volcans qui continuent d’attirer les curieux… même et surtout quand ils sont en éruption. “C’est un véritable terrain de jeux grandeur nature, où chacun peut s’exprimer, de moins 50 mètres sous l’eau à plus de 3.000 mètres d’altitude”, complète Stéphan Ulliac.
A cela il faut ajouter en vrac une gastronomie originale et goûteuse ; un climat agréable dix mois sur douze ; un faible décalage horaire avec la métropole ; des infrastructures d’hébergement riches et variées, allant de gîtes ruraux de qualité à une hôtellerie qui s’est beaucoup améliorée ces dernières années.
Les points faibles sont également très bien identifiés. D’abord, une forme de mono-clientèle, la métropole représentant plus de 80 % des visiteurs. Ensuite, le prix des billets d’avion, même si l’arrivée sur le marché de compagnies charter (Corsair) ou low-cost (Frenchbee) a permis de diversifier l’offre et de tirer les tarifs vers le bas. Mais il faut quand même reconnaître que pour ceux qui voudraient voyager dans les meilleures conditions de confort, un billet en classe business à 6.450 euros sur Air France, c’est cher…
L’image véhiculée par les médias nationaux n’est pas toujours excellente. On parle souvent de La Réunion quand se produit une épidémie de dengue, un blocage par les gilets jaunes… ou une attaque de requins. “Néanmoins nous conservons une très belle notoriété en France, et une trop faible notoriété à l’étranger“. Dès lors la stratégie est toute tracée : aller chercher une clientèle étrangère de proximité (Allemands, Belges et Suisses formant déjà le gros du peloton) ou plus lointaine : Chine, Inde, Afrique du Sud, dont l’émergence est désormais favorisée par le lancement de vols directs. Sans compter 30.000 Mauriciens, venus en voisin pour visiter une île tellement différente de la leur !
Outre une communication digitale désormais bien au point, l’IRT participe à de nombreux salons, workshops, road shows pour valoriser l’image de l’île intense ; invite journalistes, influenceurs, bloggeurs à venir en découvrir les beautés ; renforce la promotion autour d’événements porteurs dont le plus beau fleuron est évidemment le Grand Raid.
Autre politique à développer, celle qui consiste à étaler le plus possible les dates de séjour, ce qui passe aussi par le tourisme d’affaires. “Une activité qui s’est beaucoup développée ces dernières années”, se réjouit Michel Hirigoyen, directeur général du Bellepierre, un des plus beaux hôtels de Saint-Denis perché sur les hauteurs. “Ici, par notre situation géographique, nous n’avons que peu de familles ou d’amateurs de plages – ou alors ils sont de passage -, mais plutôt 80 % de clientèle d’affaires. Du dimanche soir au vendredi matin, nous accueillons séminaires d’entreprises, stages de formation, incentives, réunions de maisons-mères qui viennent visiter leurs succursales… Le week-end, nous travaillons davantage avec une clientèle locale, avec de fortes promotions sur les prix. Et nous sommes également bien placés sur la clientèle “première et dernière nuit”, celle qui vient d’atterrir à Saint-Denis avant d’aller visiter l’île, ou qui va en repartir et qui préfère y dormir pour ne pas risquer de rater l’avion à cause d’un embouteillage…”
Michel Hirigoyen a vu cette clientèle “corporate” se développer au fil des années : “malgré les crises successives, en particulier celle du chikungunya, le tourisme à La Réunion n’a jamais implosé, il a au contraire à chaque fois retrouvé un élan. Le prix des billets d’avion reste un handicap, mais la situation s’est bien améliorée ces dernières années. Le problème pour un hôtel comme le nôtre demeure les “mois creux” que sont juillet-août, où beaucoup de Réunionnais qui vivent en métropole reviennent sur l’île… mais logent dans les familles !” Et où le touriste traditionnel se fait plus rare, malgré une météo plus fraîche, mais sèche et souvent très agréable.
Du côté de l’IRT, on ne se contente toutefois pas de miser sur l’hypothétique arrivée massive des Chinois. “Tout ne dépend pas de nous, admet Stéphan Ulliac. Par exemple nous développons le concept de croisière sur la thématique des “îles Vanille”, où nous travaillons en collaboration avec les offices du tourisme de l’Océan Indien, Maurice, Madagascar, Les Seychelles, Les Comores, et Mayotte, pour proposer des circuits ou des couplages. Nous accueillons chaque année davantage de croisiéristes, plus de 50.000 l’année dernière, mais leur accueil sera facilité lorsque des “quais croisières” seront créés au Port, comme le prévoit un projet de longue date. En attendant, nous organisons un accueil plus personnalisé, et de plus en plus de paquebots restent deux jours à quai, ce qui fait marcher le commerce local.”
L’IRT veille aussi, avec ses moyens, au meilleur aménagement possible pour les plages ou les grands sites fréquentés, par exemple les volcans et les sentiers de randonnée.
“Nous travaillons sur la qualité de l’hôtellerie, avec des projets d’écolodges de qualité, dans un environnement de nature. Sur la professionnalisation de l’encadrement, qu’il s’agisse de faire du canyoning, du parapente, de la randonnée : nous disposons désormais d’excellents professionnels parfaitement formés. Nous proposons également de plus en plus de produits dits “expérimentiels”, où l’on suggère au visiteur d’être acteur de son séjour plutôt que simple observateur. On lui propose de s’enfoncer dans les tunnels de lave au cœur du volcan, de s’initier à la cuisine locale, de découvrir des sites inattendus et peu connus avec des guides dédiés…”
Avec tous ces atouts, et tous ces projets, l’île intense s’est fixée des objectifs ambitieux pour ce qui constitue la première activité économique de l’île : 700.000 visiteurs en 2025 ! Ambitieux mais atteignable si l’on en juge à travers la progression de ces dernières années. Malgré les requins… et les Gilets jaunes.