Roland Lescure : “Nous construisons une nouvelle nation industrielle”
Avec sa loi sur l’industrie verte, le ministre Roland Lescure a posé la première pierre d’une reconstruction attendue, celle de notre patrimoine industriel. Il explique à Régions Magazine comment il compte procéder.
Philippe Martin
Avec sa loi sur l’industrie verte, le ministre Roland Lescure a posé la première pierre d’une reconstruction attendue, celle de notre patrimoine industriel. Il explique à Régions Magazine comment il compte procéder.
Il a finalement survécu au dernier remaniement, prenant même du galon puisqu’il est devenu ministre de l’Industrie ET de l’Energie. Si sa carrière très protéiforme l’a conduit de l’INSEE à Groupama, en passant par Natixis, il en a passé une bonne partie au Canada, en tant que premier vice-président de la Caisse des dépôts et de placement du Québec, l’un des plus importants fonds de pension d’Amérique du Nord. Partout, Roland Lescure s’est taillé une réputation de bon gestionnaire et d’investisseur éclairé. Mais c’est un tout autre challenge qu’il relève aujourd’hui, en particulier avec la loi « Industrie verte » qu’il a portée sur les fonts baptismaux.
Outre le soutien à des entreprises en difficulté, il a consacré toute son énergie à l’élaboration de cette loi censée relancer enfin notre industrie. Le ministre explique comment à Régions Magazine.
Régions Magazine : La loi “Industrie verte” met la priorité sur cinq filières-clés : hydrogène vert, pompes à chaleur, batteries électriques, éolien et panneaux photovoltaïques. N’est-ce pas un peu réducteur ? Ne devrait-on pas plutôt l’appeler “loi énergie verte” ?
Roland Lescure : Non, car la loi est beaucoup plus large que cela ! Effectivement, les cinq filières que vous citez sont mises en avant, car ce sont celles qui peuvent bénéficier de crédits d’impôts autorisés par la Commission européenne. Mais la loi concerne bien toute l’industrie, en s’appuyant sur deux piliers principaux : aider nos industriels à verdir leurs modes de production ; et développer l’industrie verte en attirant de nouvelles entreprises, ou en aidant celles qui existent déjà à grandir.
RM : Comment comptez-vous vous y prendre ?
RL : Cette loi s’inscrit dans une politique menée depuis six ans, qui comprend la baisse des impôts, la stratégie d’attractivité – la France est pour la 4ème année consécutive le pays le plus attractif de l’Union européenne -, les réformes de la formation professionnelle. C’est un projet économique mais aussi social, et j’oserais dire politique. A chaque fois que l’on ferme une usine, le Rassemblement National n’est pas loin…
Au contraire, le développement de l’industrie verte, c’est une arme politique fondamentale, en sachant que nous revenons de très loin : la France a détruit 2 millions d’emplois industriels en vingt ans ! Depuis six ans, la courbe s’est inversée : nous avons 100.000 emplois industriels et 300 usines de plus en France qu’il y a six ans.
Je prends volontairement un exemple en région, celle des Hauts-de-France, haut-lieu de la désindustrialisation. Le Dunkerquois a lui seul avait perdu 6.000 emplois industriels, il va en créer plus de 16.000 ! Si je voulais résumer cette action par un slogan, ce serait : « avec du moins, on fait du plus : de moins d’emploi à plus d’emploi ; de moins d’usines à plus d’usines ; de moins d’attractivité à plus d’attractivité ».
« Quand je suis arrivé au ministère, c’est la première chose que j’ai faite : contacter, un par un, chacun des présidents de Région. »
RM : Dans ce contexte, travaillez-vous avec les Régions ?
RL : Mais on a besoin de tout le monde, et je dirais : surtout des Régions ! Quand je suis arrivé au ministère, c’est d’ailleurs la première chose que j’ai faite : contacter, un par un, chacun des présidents de Région. Puis les rencontrer sur le terrain. Pas toujours pour des choses agréables. Prenez le cas de Xavier Bertrand, dans les Hauts-de-France : nous nous sommes d’abord vus sur de dossiers d’entreprises qu’il fallait sauver : la verrerie Arc dans le Pas-de-Calais, l’entreprise pharmaceutique Carelide à Mouvaux, Buitoni à Caudry, pour lesquelles nous avons aidé à retrouver un repreneur.
Après, quand nous nous voyons sur des projets comme la gigafactory de Douai, ou les implantations dans le Dunkerquois, c’est évidemment plus agréable ! Mais toujours aussi constructif. Et c’est exactement la même chose avec Carole Delga en Occitanie : nous avons dû affronter la fermeture de l’usine SAM de Decazeville, avant d’inaugurer ensemble une usine d’assemblage Airbus…
Donc je travaille régulièrement avec Marie-Guite Dufay, avec Franck Leroy, avec Christelle Morançais, bien sûr avec Alain Rousset. Le seul que je n’ai pas vu quand je suis venu sur le terrain, c’est Laurent Wauquiez. Pour le moment…
RM : Revenons sur la loi Industrie verte. Le Sénat, à la demande des grandes associations d’élus, notamment Régions de France et l’AMF, s’est battu contre l’article 9 qui instaure une procédure d’exception pour les « projets d’intérêt national majeur », procédure qui, « dans un souci d’efficacité », permettait de ne pas associer Régions et Villes à l’implantation de ces grands projets sur leur territoire. Finalement, les communes seront informées de ces projets. Cela ne recouvre-t-il pas une forme de recentralisation plus ou moins larvée ? Et n’aurait-on pu éviter cette polémique ?
RL : Le travail parlementaire, et c’est bien en cela qu’il est utile, a permis de lever cette polémique, et d’améliorer notre projet de loi. Le Sénat, et il était dans son rôle, a plaidé pour le pouvoir des maires, et ceux-ci pourront donc s’opposer à un projet prévu sur leur territoire, en tout cas au début de l’opération. Après, une fois qu’elle sera lancée, il faudra aller vite, et être efficace. Et les Régions seront bien sûr associées, y compris dans les “projets d’intérêt nationaux”, ceux de très grande envergure.
Je le dis clairement, je veux travailler avec tout le monde. Je suis au service de l’industrie française.
« Il nous faut gagner la bataille culturelle, expliquer aux jeunes que dans un monde de plus en plus virtuel, les métiers de l’industrie permettent de retrouver un rapport aux objets qui s’avère très précieux ».
RM : La première sélection de nouveaux sites industriels “clefs en mains” est prévue pour décembre, et vous avez souligné « l’importance d’une bonne répartition géographique des sites ». La plate-forme en ligne est désormais ouverte : a-t-on une première idée des tendances ?
RL : Il s’agit des 50 sites “clefs en mains” qui seront soutenus et ont besoin de répondre à quatre conditions : l’accès aux subventions, notamment européennes ; la certitude que le projet va aboutir ; la rapidité d’exécution ; et la possibilité de trouver du foncier. Effectivement, la plate-forme est ouverte, nous avons déjà reçu plusieurs dizaines de candidatures formalisées.
Il y aura en effet une répartition géographique à respecter, avec au moins un projet retenu par région, y compris les territoires ultramarins. Et ils bénéficieront bien entendu de l’appui de l’Etat et des Régions.
Propos recueillis par Philippe Martin
Photos Hugues-Marie Duclos – Régions Magazine