La charte des “néoruraux”
À La Flamengrie, petit village de l’Avesnois (Nord), les nouveaux arrivants se voient remettre un document qui leur explique le rythme de la campagne, avec ses plaisirs… et ses désagréments.
Philippe Martin
À La Flamengrie, petit village de l’Avesnois (Nord), les nouveaux arrivants se voient remettre un document qui leur explique le rythme de la campagne, avec ses plaisirs… et ses désagréments.
« Quand j’ai vu que l’Angelus sonnait à 8 h du matin, j’ai eu un peu peur », reconnaît Morgane Berger, arrivée en juillet avec ses deux enfants à La Flamengrie (Nord), 450 habitants. L’information est donnée en bonne place dans la « Charte du nouvel arrivant pour bien vivre en milieu rural », un document de trois pages A4 recto-verso, éditée par la mairie. « Il avait été supprimé il y a quelques années parce qu’une habitante s’était plainte », sourit Yohan Lecerf, 40 ans, le nouveau maire. « Dès que j’ai été élu, j’ai remis l’Angelus : pour moi, c’est quelque chose de symbolique, cela fait partie de la culture rurale. Normalement, il sonne à 7h du matin, j’ai fait une concession, il est à 8 h. »
Il voit la charte « comme une main tendue pour faire découvrir aux néo-ruraux le fonctionnement de la ruralité. » Le tracteur qui passe à 1 h du matin dans la rue l’été, pour moissonner avant la pluie, les routes boueuses du début d’automne. « Les néo-ruraux ont par exemple cette envie de la pelouse parfaite », souligne-t-il. « Mais quand vous avez une pâture à côté de chez vous, il y a forcément des herbes folles. » A l’inverse, il n’hésite pas à rappeler les règles de distance à un éleveur de pintades, pour éviter à ses voisins les nuisances des caquetages.
À un kilomètre de la quatre-voies, à mi-chemin entre Maubeuge et Valenciennes, le village de La Flamengrie est charmant, bocages, anciennes fermes retapées avec ce mélange « briques et pierres bleues » si typique de l’Avesnois. Niché à la frontière belge, il a tout de la carte postale pour le cadre avec des envies de campagne. « Les maisons n’ont même pas le temps d’être affichées qu’elles sont « déjà vendues, sans négociation », remarque Sylvain, producteur laitier, dont les vaches patientent en bordure de pré, avant de partir à la traite.
La crise sanitaire a accéléré la tendance, mais elle était présente depuis un moment, dans un village devenu dortoir. « Ça a commencé à construire beaucoup dans les années 80 », constate-t-il. Yohan Lecerf confirme l’engouement : « Une maison à 200.000 euros (avant crise, ndlr) se vend aujourd’hui autour de 260.000 euros, et nous avons beaucoup d’appels pour savoir s’il y a des terrains constructibles. ». Arrivé il y a dix ans dans le village, ce citadin pur sucre, originaire de Denain, cadre dans le médico-social, est maintenant coach en évolution professionnelle. « Je connais les deux mondes », explique-t-il. « J’ai appris à comprendre les craintes et les difficultés des ruraux. »
Yohan Lecerf a été élu en 2020 sur sa volonté de réinstaurer une vie de village, marché hebdomadaire et fête du 14-Juillet. Par sa charte, il veut lutter contre l’effet « microcosme » des lotissements. « Une nouvelle résidence s’est construite il y a deux ans, avec une quinzaine d’habitations. Un autre lotissement est peut-être en projet. Cela ne correspond pas à l’esprit de la ruralité », explique-t-il. « On peut avoir vingt nouvelles habitations, mais de façon diffuse dans le village. » Il s’inquiète des futures négociations du PLUi : « Si on laisse cette urbanisation se développer, des exploitations agricoles vont fermer, et elles sont les poumons des villages. » Sylvain, le producteur de lait, compte les hectares perdus, qu’il louait, devenus des maisons individuelles : au moins trois, en une vingtaine d’années. Il en a pris son parti : « Les gens sont de plus en plus nombreux, il faut bien les loger ; mais 20 maisons qui se construisent, c’est 40 voitures qui passent en plus. Pareil pour l’électricité, l’eau : il en faut suffisamment pour tout le monde. »
Morgane Berger apprécie, elle, sa nouvelle vie : un loyer à 450 euros au lieu de 600, pour une maison avec jardin. Elle se forme à distance, ordinateur portable posé sur la table de sa salle à manger. Bientôt, un micro-tiers-lieu, financé par le Département (30.000 €), l’Etat (18.000 €), et un investissement municipal (12.000 €), va ouvrir au premier étage de la mairie, pour les télétravailleurs, et les autres. Avec toujours le même principe : nouveaux arrivants, nouveaux services, et vie de village en partage.
Stéphanie Maurice
La Région soutient le dynamisme rural
Christophe Coulon, vice-président chargé de la ruralité, le pose d’emblée : son affaire, c’est l’équité territoriale. « Nous avons deux locomotives, Lille et Amiens, mais il faut penser l’aménagement du territoire dans sa globalité », explique-t-il. Le rapport du Sraddet (Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires), voté en 2020, pointe la nécessité d’organiser le développement des campagnes péri-urbaines, et d’expérimenter de nouveaux services, souvent numériques, dans les zones rurales les moins denses. « Nous avons beaucoup de projets de tiers-lieux », note Christophe Coulon, dans une région 100 % connectée à la fibre pour 2023.
Le fonds de redynamisation rurale, mis en place en 2016, 30 M€ complétés par des financements européens, soutient déjà dans les villages les projets économiques locaux, pourvoyeurs d’emplois, les espaces de coworking, et l’amélioration de l’offre de services, comme la création de maisons de santé. S’y ajoutent des aides à la revitalisation des centres-bourgs, complémentaires du dispositif « Action Cœur de ville », piloté par la Banque des Territoires : 114 communes ont été lauréates de l’appel à projet en 2019, pour un budget de 9 M€.
Les projets sont divers, financement de postes de managers de centre-ville, par exemple, ou apport d’ingénierie, avec l’immersion d’urbanistes dans une ville moyenne, un dispositif expérimental testé à Clermont-de-l’Oise. Enfin, le conseil régional apporte une subvention, d’un maximum de 150.000 €, pour la sauvegarde du dernier commerce d’un village.