Les régions, le maillon fort
En réponse à une chronique parue dans Le Monde, le directeur de la rédaction de Régions Magazine rappelle le rôle essentiel des Régions dans nos politiques publiques et dans le rééquilibrage de nos territoires.
Philippe Martin
En réponse à une chronique parue dans Le Monde, le directeur de la rédaction de Régions Magazine rappelle le rôle essentiel des Régions dans nos politiques publiques et dans le rééquilibrage de nos territoires.
Par Philippe Martin, directeur de la rédaction de Régions Magazine
La parution dans Le Monde daté du mardi 8 juin, d’une chronique intitulée “Les régions, le maillon faible”, ne pouvait laisser sans réagir le directeur de la rédaction de Régions Magazine. Je précise d’emblée que la revue que j’ai l’honneur de diriger depuis dix ans n’a aucun lien, juridique ou économique, avec les régions, ni avec l’Association des Régions de France. En revanche, elle constitue un poste d’observation privilégié de l’action réelle des conseils régionaux, qui m’entraîne à nuancer les propos, au demeurant fort bien argumentés, de mon confrère Jean-Michel Bezat.
Rappelons d’abord un point d’Histoire : l’Etat “décentralisateur”, qu’il soit de gauche ou de droite, n’a généralement confié aux Régions que des compétences liées à des situations d’échec. Les Trains Express Régionaux étaient moribonds, les bâtiments des lycées bourrés d’amiante, le développement économique territorialisé végétait dans les limbes, l’apprentissage stagnait au point mort, quand les réformes successives ont placé ces dossiers délicats dans le giron des Régions.
On connaît la suite : des TER modernes, parfois plus que nos TGV, des lycées à énergie positive, des agences économiques régionales dont les chefs d’entreprise reconnaissent l’impact réel sur leur activité, enfin le redémarrage de l’apprentissage jusqu’au moment où une nouvelle réforme en a de nouveau privé les Régions. Même le patron du MEDEF Geoffroy Roux de Bézieux, qui a beaucoup plaidé pour que l’apprentissage soit chapeauté par le patronat, reconnait dans une interview à paraitre dans le prochain numéro de Régions Magazine, que sur ce plan aussi les Régions avaient “fait le job” avant la dernière réforme…
De surcroît, les conseils régionaux n’avaient pas attendu la très mièvre “Loi 4D”, actuellement en discussion au Parlement, pour se lancer dans des innovations audacieuses et souvent couronnées de succès. Qu’il s’agisse des mobilités, de la transition écologique, du soutien aux entreprises, de l’accompagnement du tourisme ou de la culture, et bien sûr de la formation, c’est bien dans l’action des Régions que l’on peut trouver chaque année les initiatives les plus marquantes. Celles qui font avancer notre pays dans la bonne direction.
Il est d’ailleurs curieux que la chronique de mon confrère ait pour l’essentiel occulté la crise du Covid qui a conduit les Régions, privées pourtant de la compétence sanitaire, à se montrer plus réactives, plus agiles, pour tout dire plus efficaces, que nos administrations centrales engluées dans leurs pesanteurs. Ce sont bien les Régions qui ont distribué des masques en premier. Ce sont elles aussi qui ont organisé les premiers transports de malades, à l’image de Jean Rottner, président du Grand Est, et lui-même médecin urgentiste, évacuant les premiers patients atteints du Covid jusqu’en Allemagne. C’est bien la Région Auvergne-Rhône-Alpes, sous l’égide de Laurent Wauquiez, qui a organisé la première campagne massive de tests antigéniques, permettant de tester plus de 800.000 habitants avant même les fêtes de fin d’année. Et ce sont l’ensemble des Régions qui ont signé, bien avant France Relance, des plans de relance régionaux destinés à soutenir leurs entreprises dans l’urgence, et à boucher le maximum de “trous dans la raquette”, au bénéfice de ceux que les dispositifs gouvernementaux avaient oubliés en chemin.
Comme le souligne le rapport de l’Institut Montaigne, publié le 7 juin et intitulé “Régions : le fer de lance de l’action publique ?”, “la présence des régions dans la gestion de la crise, notamment aux côtés des entreprises, a indéniablement conforté leur légitimité à agir, et ce vis-à-vis de l’ensemble de leurs partenaires. La région a assurément gagné des galons, son leadership s’est accru. La reconnaissance que les acteurs locaux ont accordée à la région est venue de sa capacité à fédérer, à constituer des réseaux, à être un point de ralliement.”
Au demeurant, l’hyperprésence médiatique de certains présidents de Régions, candidats potentiels à l’élection présidentielle, ne doit pas masquer le travail qu’ils ont réalisé dans chacun de leurs territoires. Nul ne peut nier – et quel que soit le jugement politique que l’on porte sur leur action – que Valérie Pécresse, Xavier Bertrand ou Laurent Wauquiez se battent chaque jour, à leur manière et dans leur style, pour réaliser le programme sur lequel ils ont été élus. Ce qui ne doit pas occulter pour autant le travail opiniâtre d’un François Bonneau en Centre-Val de Loire, ou d’un Alain Rousset en Nouvelle-Aquitaine, certes moins médiatisés, mais tout aussi impliqués dans la réussite des politiques publiques qu’ils mènent.
Restent deux points évoqués dans la chronique du 8 juin, et sur lesquels il paraît utile de revenir. D’abord le lien Régions-Métropoles. Certes, les réformes successives et la concentration naturelle des activités et des richesses, ont conduit une dizaine de nos grandes agglomérations à devenir des fers de lance économiques ; la chronique du Monde en dresse un tableau idyllique, et, nous semble-t-il, quelque peu outrancier. Car ce développement se fait au détriment de ce que l’on appelle généralement, et de façon parfois un peu méprisante, les “territoires”. La mort progressive des villes moyennes et des centres-bourgs, la fuite des services publics, la désindustrialisation, la désertification médicale ont conduit nombre de nos citoyens à se sentir délaissés, voire abandonnés par les politiques, favorisant l’apparition des Gilets jaunes, mais aussi la montée des votes extrêmes.
Seules les Régions, fussent-elles désormais de grande taille, détiennent à la fois la puissance de frappe et la dimension de proximité pour pouvoir remédier de façon volontariste et efficace à ce phénomène qui menace tout entier l’équilibre de notre société. Elles ont d’ailleurs largement commencé à le faire, dans la limite toutefois de leurs moyens.
C’est d’ailleurs sur ce dernier point que je partage entièrement l’avis de Jean-Michel Bezat : la faiblesse financière de nos Régions reste leur talon d’Achille. Le budget de l’Île-de-France, première région d’Europe avec ses 12,2 millions d’habitants, ne représente que 15 % du budget de la Rhénanie du Nord-Westphalie en Allemagne. La deuxième Région française, Auvergne-Rhône-Alpes (8 millions d’habitants) est loin de disposer des moyens financiers de la Sicile, qui en compte deux fois moins. Seule collectivité à ne pas lever l’impôt, la Région reste bloquée par ses limites budgétaires. Et ce n’est pas la “loi 4D” qui va l’aider à s’en sortir…
Toutefois, par son dynamisme, son agilité, sa vision stratégique sur les grands enjeux de demain, elle apparaît bien comme un maillon fort de notre démocratie. C’est dire, bien au-delà des sempiternelles querelles politiciennes, tout l’enjeu du scrutin des 20 et 27 juin.
Par Philippe Martin, directeur de la rédaction de Régions Magazine