TER : le rapport qui accable
Le diagnostic de la Cour des Comptes sur les trains régionaux n’épargne pas la SNCF. Et l’ouverture à la concurrence, à laquelle plusieurs Régions se disent prêtes, va se faire dans un contexte social tendu.
Philippe Martin
Le diagnostic de la Cour des Comptes sur les trains régionaux n’épargne pas la SNCF. Et l’ouverture à la concurrence, à laquelle plusieurs Régions se disent prêtes, va se faire dans un contexte social tendu.
La troisième semaine d’octobre n’aura pas été la meilleure dans l’histoire de la SNCF. Le 16 octobre, un accident dans les Ardennes impliquait un poids lourd à un TER. Le conducteur, seul en poste dans le train, devant lui-même s’occuper des passagers légèrement blessés tout en sécurisant la voie. Deux jours plus tard, ses collègues faisaient jouer leur “droit de retrait”, provoquant une pagaille monstre dans les gares en un jour de grand départ en vacances. Et une vive polémique avec la direction de la SNCF et le gouvernement, pour qui il ne s’agissait en réalité que d’une grève sauvage et sans préavis, donc illégale.
Mais comme si cela ne suffisait pas, le 23 octobre, la Cour des Comptes publiait un rapport concernant le réseau TER, ses 7.000 trains et ses 1.300 cars, un rapport plutôt accablant pour la SNCF. Constatant une baisse de fréquentation, les sages de la rue Cambon, qui avaient salué voici un peu plus de dix ans la nette amélioration des Trains Express Régionaux depuis leur transfert aux Régions, ne tiennent plus du tout le même discours.
Ils constatent en effet, malgré un investissement gigantesque de la part des Régions (3,3 milliards d’euros pour le renouvellement du matériel roulant entre 2011 et 2017, auxquels viennent s’ajouter 2,1 Md€ dépensés pour les infrastructures, réseau et gares), que la fréquentation des TER a baissé jusqu’en 2016, même si l’on enregistre une légère remontée depuis deux ans. En cause, les nouveaux modes de transports, des “cars Macron” au covoiturage ; mais surtout la qualité de service jugée insuffisante. Au banc des accusés, un nombre accru de suppressions de trains, des retards de plus en plus fréquents, auxquels viennent s’ajouter les mouvements de grève de 2014, 2016 et 2018, très perturbants pour l’usager et très nocifs pour la gestion de l’entreprise SNCF.
“Faible mobilité, charges de personnel trop élevées…”
Mais il y a pire : malgré cette qualité de service jugée insuffisante, le TER coûte cher, beaucoup trop cher aux yeux des magistrats de la Cour. Le coût voyageur-kilomètre a atteint 30 centimes d’euros en 2017, un record en Europe. Sur le diagnostic, le rapport est impitoyable, pointant la “faible productivité de SNCF Mobilités et ses charges de personnel trop élevées”, ainsi qu’une marge financière importante due à… la situation de monopole.
Une critique qui n’est évidemment pas tombée dans l’oreille de sourds, en l’occurrence les Régions dont plusieurs sont à l’affût de l’ouverture à la concurrence (lire en encadré). Ouverture que la loi du 14 juin 2018 “Pour un nouveau pacte ferroviaire” autorise désormais. Plusieurs Régions sont en tête de réseau pour cette ouverture : pas question pour elles d’attendre la date officielle de 2023 puisqu’elles ont la possibilité de se livrer à une expérimentation dès l’an prochain. Il faut dire que dans ce domaine, ce n’est pas l’égalité qui règne. Si la Bretagne peut se satisfaire globalement des services de l’opérateur public ferroviaire, avec environ 97 % de trains arrivant à l’heure, à l’autre bout de la France il en va tout autrement : en Région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur, seulement 77 % des trains sont ponctuels. Autant dire qu’un train sur quatre est en retard !
On comprend mieux la hâte du président du conseil régional Renaud Muselier, au même titre que ses collègues des Hauts-de-France et du Grand Est, à utiliser la possibilité de faire appel à d’autres opérateurs, français comme Transdev, voire allemands ou italiens (lire à ce sujet notre dossier Transports dans le dernier numéro de Régions Magazine).
Faciliter l’ouverture à la concurrence
Encore faut-il que cette ouverture puisse se préparer dans de bonnes conditions. Car, et c’est encore une des critiques d’une Cour des Comptes décidément implacable, les Régions semblent avoir beaucoup de mal à obtenir de l’opérateur public les données techniques et financières qui doivent leur permettre de préparer les appels d’offres à venir. Un décret daté du 20 août 2019, complété par un second texte publié le 26 octobre, doit permettre d’y remédier,“sous réserve que SNCF Mobilités se mette en capacité de produire et fournir les informations qui lui seront demandées dans les délais impartis et avec un bon niveau de qualité”, écrit le rapport. Qui encourage clairement les Régions à se lancer dans l’aventure de l’ouverture à la concurrence. Pour certaines d’entre elles, il n’y a pas de doute : elles sont prêtes.
Les Régions demandent le transfert des infrastructures
Les Régions “partagent globalement l’analyse de la Cour des comptes sur les transports ferroviaires et les recommandations qu’elle formule”, a-t-on réagi à Régions de France après la publication du rapport.
Un certain nombre de ces recommandations, formulées sur la base d’une analyse couvrant la période 2012/2017, avaient déjà été identifiées par les Régions. “Ces recommandations, poursuit Régions de France, ont déjà fait l’objet d’actions correctives, comme par exemple l’introduction de mécanismes incitatifs et de sanctions plus dures dans les conventions entre chaque Région et la SNCF. Par ailleurs, le pacte ferroviaire et la Loi d’orientation sur les mobilités (LOM), deux réformes sur lesquelles les Régions se sont beaucoup mobilisées, apportent également des réponses à ces recommandations.”
Les Régions “se félicitent de la reconnaissance par la Cour de l’effort très important qu’elles ont produit pour le renouvellement du parc de matériel (3,3 milliards d’€). L’offre de mobilité offerte par les trains régionaux profite à l’ensemble des citoyens, en répondant à un double souci de réduction des émissions de CO2 et de baisse du coût individuel du transport, notamment pour les déplacements domicile-travail.”
La fréquentation remonte
Même si la fréquentation a globalement baissé sur la période d’étude de la Cour, ces efforts des Régions “ont conduit à une amélioration de la performance de SNCF Réseau. La fréquentation s’est à nouveau accrue en 2017 (+4,7 %). Après une année 2018 marquée par un mouvement social de grande ampleur, l’année 2019 semble confirmer ce redressement spectaculaire. Les Régions estiment que la mise en œuvre du pacte ferroviaire devrait permettre de soutenir des investissements pour la modernisation et le verdissement du parc de matériel, et des politiques tarifaires ambitieuses.”
En outre, les Régions notent qu’elles sont “amenées à faire des efforts d’investissement considérables (2,1 milliards d’€) sur des infrastructures ferroviaires qui ne leur appartiennent pas. De plus, elles doivent absorber dans leurs subventions publiques le coût des péages, qui dépasse largement le seul coût d’usage du réseau.”
Or, malgré leurs efforts, le réseau “reste très dégradé et nuit à la qualité du service”. C’est à présent l’urgence sur laquelle est attendu le gouvernement, qui a commandé un rapport au Préfet François Philizot. Les Régions “appellent le gouvernement à s’engager avec elles dans une contractualisation dotée de moyens à la hauteur des enjeux pour les infrastructures ferroviaires. Le gouvernement doit ouvrir des discussions pour autoriser les Régions qui le souhaitent à obtenir la maîtrise d’ouvrage sur certaines lignes (comme la LOM le permettra), voire à leur transférer certaines de ces infrastructures.”