Quand l’art contemporain entre au château
La galeriste américaine Heidi Leigh a racheté le château médiéval de Bescatel, dans l’Aveyron, et l’a transformé en lieu d’expositions.
Laurent Marcaillou
La galeriste américaine Heidi Leigh a racheté le château médiéval de Bescatel, dans l’Aveyron, et l’a transformé en lieu d’expositions.
« Quand je l’ai vu, je suis tout de suite tombée amoureuse du château de Belcastel ! », s’exclame Heidi Leigh, 65 ans, propriétaire de ce castel médiéval construit au XIe siècle sur un piton rocheux, au-dessus du vieux village en pierre de Belcastel, dans le nord de l’Aveyron. Cette ancienne galeriste d’art contemporain de New-York et son ex-mari Nicholas Leone découvrent le château sur Internet. Et l’achètent en 2005 pour l’ouvrir à des expositions d’art contemporain, en tissant un lien entre l’art moderne et le Moyen Age. « J’ai été galeriste pendant trente ans et j’ai la passion de communiquer l’art et la culture à travers les œuvres et les lieux », explique l’Américaine, nommée Chevalier des arts et des lettres en 2017.
Depuis dix-huit ans, les visiteurs découvrent à la fois le patrimoine médiéval du château inscrit au titre des Monuments historiques, une exposition d’art contemporain et un miracle architectural. Un miracle, parce qu’il ne restait pas grand chose du château pillé de ses pierres quand le célèbre architecte Fernand Pouillon l’acheta en 1974.
Le constructeur des immeubles de la Tourette sur le Vieux Port à Marseille et de grands ensembles a reconstruit le château en suivant les plans originaux. Le chantier a duré huit ans. Soucieux d’une restauration à l’identique, Fernand Pouillon a fait tailler les pierres dans une colline au-dessus. Le château a été restauré à la main par dix maçons algériens et des maîtres-verriers ont intégré des vitraux du XVIe siècle dans les 85 fenêtres. Les douves ont été remises en eau mais leur remplissage est interdit cette année à cause de la sécheresse.
Fernand Pouillon vécut au château jusqu’à sa mort en 1986. Ses héritiers n’eurent pas les moyens de l’entretenir. « Le château était très vide quand je l’ai acheté, il manquait même les plaques de cheminée, se rappelle Heidi Leigh. J’ai ajouté des passerelles, un patio en bois et des garde-corps pour pouvoir le visiter entièrement. »
Pour le faire vivre, elle a aménagé une grande chambre d’hôtes cosy sur deux niveaux dans une tour ronde, avec accès à la piscine dans une douve. Cette suite est louée d’avril à novembre entre 150 et 245 euros et 300 personnes y ont séjourné l’an dernier. Le lundi soir, Heidi Leigh et son compagnon Luc Devaux concoctent un grand dîner de cinq plats pour leurs hôtes dans la grande salle à manger. Ils accueilleront un mariage en juin.
Le château a été restauré mais il y a toujours à faire. « Un mur s’est effondré le jour où mon mari est parti, a raconté Heidi au journal Midi Libre. Il y a une vie dans ces pierres. » Un mur de soutènement de 16 mètres de long et 12 de haut s’est effondré en 2014 et sa restauration vient à peine de se terminer, pour un coût d’un demi-million d’euros… Depuis 2005, la châtelaine a dépensé 1,2 M€ dans l’entretien du château. « Elle n’a pas demandé d’aides, sauf pour restaurer la fresque de la chapelle Marie-Madeleine l’an dernier, pour laquelle le département de l’Aveyron (20 %), la Région Occitanie (10 %) et l’Etat (10 %) ont payé 40 % du chantier, un coût de 20.000 €», précise Nicolas Marc, responsable du développement.
Depuis qu’elle a vendu sa galerie d’art en 2019, Heidi vit six mois par an au château avec son nouveau compagnon Luc Devaux, qui participe à l’entretien et effectue des recherches historiques. Cet ancien ingénieur en électronique a voyagé dans 89 pays ! Tous deux montent un nouveau projet de jardin botanique en Tanzanie, pour préserver les espèces en danger. Mais ils n’abandonnent pas Belcastel où ils ont planté une roseraie, un jardin aromatique et des fraisiers. « Je suis heureuse de vivre au château avec l’équipe », affirme Heidi, assistée par deux salariés et des stagiaires.
Après les dragons, l’ancienne galeriste d’art organise une exposition sur le bestiaire médiéval cette année. Elle a commandé six grandes créatures animées, exposées dans les espaces extérieurs : une licorne, un phénix, un basilic (mi-serpent mi-coq), un cerbère, une stryge (mi-femme, mi-oiseau) et un griffon. Il y a aussi les structures géantes mêlant machines et animaux de Pierre Matter, comme le sous-marin baleine et le scarabée rhinocéros croisé avec un moteur d’avion… La galerie principale présente les portraits de neuf bêtes médiévales avec leurs histoires. Plus loin, le peintre « fantasy » américain Kirk Reinert expose une peinture à l’huile représentant une sirène.
Le château reçoit des concerts et a accueilli 37.000 visiteurs en 2022. Sa renaissance a incité les habitants à restaurer les vieilles maisons en pierre de ce village de 193 habitants. Belcastel figure parmi les plus beaux villages de France et reste en lice pour être élu « village préféré des Français » dans l’émission de Stéphane Bern sur France 3.
Laurent Marcaillou