Stéphane Bern à Régions Magazine : “Nous avons créé l’émotion patrimoniale”
Stéphane Bern, qui a lancé sa deuxième opération du “Loto Patrimoine”, a tiré les leçons de la première. L’animateur reste toujours aussi attaché à la défense des régions et des territoires, et ne mâche pas ses mots à propos de la reconstruction de Notre-Dame.
Ses larmes devant l’incendie de Notre-Dame ont ému la France entière, venant ajouter à la détresse du moment. “Voir ce monument disparaître sous nos yeux n’était pas dans l’ordre des choses”, souffle Stéphane Bern. Pour enchaîner aussitôt : “c’était aussi toute l’arrogance de notre société moderne qui transparaissait, capable de tant de choses mais incapable de protéger un tel monument. Il y a deux ans, j’avais voulu lancer une campagne pour mieux entretenir la cathédrale, j’avais suggéré qu’on en fasse payer l’entrée, tout le monde m’était tombé dessus”.
C’est que l’animateur télé préféré des Français n’a pas sa langue dans sa poche, ainsi que le prouve l’entretien qu’il a accordé à Régions Magazine. Un an après le lancement du Loto du Patrimoine, il dresse le bilan de cette première édition, annonce ses ambitions pour la deuxième… et revient sans ambages sur l’épisode douloureux de Notre-Dame.
Régions Magazine : Quel bilan faites-vous du premier “Loto du Patrimoine”, et plus généralement, de la “Mission Patrimoine” que vous a confiée le président de la République ?
Stéphane Bern : C’est d’abord un succès financier, mais ce n’est pas que cela. Le Loto a permis de récolter 22 M€. Ensuite, après le combat que nous avons mené pour que Bercy ne conserve pas une part trop importante du bénéfice réalisé, il faut y ajouter les 21 M€ de taxes sur le produit brut des jeux, reversés sous forme de crédit par l’Etat. Et environ 5 M€ de collecte. Au total, nous sommes autour de 48 M€ de rentrées.
Mais il faut aller au-delà de ces chiffres. D’abord parce qu’il y en a d’autres. De grandes entreprises nous ont rejoints, comme le groupe Axa qui s’appuie sur un maillage territorial très fort et a augmenté son mécénat : la société participera à hauteur de 3 M€ sur trois ans.
Surtout parce que j’ai ressenti très fortement, moi qui passe mon temps sur les routes de France et à rencontrer les Français, à quel point la préservation de notre patrimoine était entrée dans les préoccupations de beaucoup de gens. La beauté de nos édifices appartient à tout le monde, comme disait Victor Hugo. Je pense que nous sommes parvenus à créer, en peu de temps finalement, ce que j’appelle “l’émotion patrimoniale”. C’est pourquoi il faut poursuivre, et amplifier ce mouvement.
RM : De quelle manière ? Quelles leçons avez-vous tirées en prévision de l’édition 2019 ?
SB : D’abord, c’était une demande forte du grand public, en mettant la participation à un niveau moindre : il y aura des tickets à 15 euros, mais aussi à trois euros.
Ensuite dans le choix des monuments emblématiques et de la centaine d’édifices que nous avons sélectionnés, en mettant davantage l’accent sur le domaine privé. L’an dernier, 60 % des monuments dont nous avons entrepris la rénovation appartenaient à des collectivités. C’était, en quelque sorte, de l’argent privé qui revenait au public. Cette année, nous serons autour des 50 %. Et on donnera moins aux bâtiments classés, qui sont en principe déjà soutenus par les DRAC (NDLR : Directions régionales des Affaires Culturelles). Nous avons également mieux réparti nos choix sur le plan géographique. Il y a un bâtiment emblématique par région. Et pour les 100 édifices suivants, un par département.
Et puis nous continuons le combat sur le plan fiscal. Le Sénat a voté à trois reprises l’exonération des taxes pour les revenus du Loto Patrimoine. Il s’est fait retoquer trois fois par l’Assemblée Nationale. Mais il y a depuis un élément nouveau, qui crée un précédent : on a voté une loi d’exception pour la reconstruction de Notre-Dame. Pourquoi ne pas l’étendre à l’ensemble de notre patrimoine menacé ?
Quoi qu’il en soit, nous allons essayer de faire mieux que l’année dernière. Avec nos partenaires (Française des Jeux, Fondation du Patrimoine), nous avons fixé l’objectif à 60 M€. Et j’espère bien y parvenir !

RM : Comment se passent aujourd’hui les discussions avec les pouvoirs publics, le monde de la culture ?
SB : Les choses s’améliorent petit à petit. Je dirais que ça s’est bien détendu… Philippe Barbat, le nouveau directeur général des Patrimoines au ministère de la Culture, est quelqu’un avec qui l’on peut discuter. Il est vrai que j’ai parfois eu l’impression de me trouver face à un mur. Face à des gens qui ne veulent pas faire, mais qui ne veulent pas non plus que quelqu’un fasse à leur place…
RM : Venons-en à Notre-Dame. Derrière votre émotion, il y avait de la colère…
SB : Oui, c’est vrai. J’aimerais que la prise de conscience collective qui est née de ces images terribles serve à quelque chose, qu’on puisse dire “ça n’arrivera plus jamais”. Qu’on prenne conscience de la richesse, mais aussi de la fragilité de sites comme Notre-Dame. Croyez-vous que l’église de La Madeleine, pour rester à Paris, soit dans un meilleur état ? Et que fait-on jusqu’à présent pour la préserver ?
Et quand je parle de richesse, c’est aussi sur le plan économique : le tourisme, qui repose en partie sur notre patrimoine, c’est 60 Md€ de PIB, c’est 500.000 emplois non délocalisables. Protéger et restaurer nos monuments rapporte bien plus que cela ne coûte !
RM : Reconstruire l’édifice en cinq ans, comme l’a annoncé le président de la République, cela vous paraît-il possible ?
SB : Cinq ans pour la charpente, cela me parait réalisable. J’en ai discuté avec l’architecte en chef des Monuments Historiques, le délai pour la toiture peut être tenu en trois ans. Mais il faut en profiter pour redonner de la vie aux métiers d’art, aux compagnons, former des apprentis, Pour la flèche, c’est une autre histoire.
“Le geste architectural pour Notre-Dame ? C’est de la foutaise !”
RM : Autre sujet de polémique à propos de Notre-Dame, c’est sa restauration. Vous avez très vite pris parti en faveur d’une reconstruction à l’identique…
SB : Notre-Dame, c’est un site classé. Par définition, on ne peut pas y toucher, c’est écrit noir sur blanc dans la Charte de Venise de 1964 sur la restauration et la rénovation des monuments historiques, que la France a signée. On ne fait pas ce qu’on veut, quand même ! Quant à la flèche construite par Viollet-le-Duc, c’est bien mal le connaître que de penser qu’il a voulu faire quelque chose de moderne à son époque. Il a simplement parachevé l’œuvre du Moyen-Age, et c’est ce que nous devons refaire aujourd’hui.
RM : Que pensez-vous du concours d’architectes que veut lancer Emmanuel Macron et du “geste architectural” dont il a suggéré l’idée ?
SB : Que c’est de la foutaise !
RM : Vous le lui avez dit en ces termes ?
SB : Bien sûr que je le lui ai dit. Vous savez, je ne suis pas un courtisan, mon ambition n’est pas d’être ministre de la Culture…. Tout ce que je veux pour Notre-Dame, c’est que l’on puisse la retrouver telle que tant de générations l’ont connue.
La suite de l’interview est à retrouver dans le numéro 149 de Régions Magazine, actuellement en vente.
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