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Par Philippe Martin
14 décembre 2017
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© Hugues-Marie Duclos Régions Magazine - Stéphane Travert a reçu Régions Magazine au siège du ministère de l’Agriculture.

“Redonner de la fierté aux agriculteurs”

Le difficile dialogue entre agriculteurs et distributeurs, les retards de paiement des fonds FEADER, les relations avec les Régions : le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert a répondu à toutes les questions de Régions Magazine.

Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, les ministres ne chôment pas, c’est même un euphémisme. Stéphane Travert, lui, a carrément été poussé dans la marmite bouillante. D’abord parce qu’il a succédé au météorique Jacques Mézard, qui n’a occupé qu’une vingtaine de jours le poste très exposé de ministre de l’Agriculture et de l’alimentation. Ensuite parce que les dossiers brûlants étaient tous sur la table, de ces États généraux de l’alimentation voulus par le président de la République jusqu’à la rupture du dialogue entre producteurs et distributeurs, en passant par les difficultés de paiement des aides européennes aux agriculteurs…

L’ancien député PS, et même “frondeur”, a donc pris le taureau par les cornes : normal quand les éleveurs font partie de vos interlocuteurs privilégiés. Sans quitter son sourire ni abandonner sa bonhommie naturelle, il a pris les problèmes un par un. En utilisant à la fois son expérience du monde de l’entreprise et son statut d’élu local : conseiller régional de Basse-Normandie, puis de Normandie, viscéralement attaché à la Manche et au Cotentin, il a davantage de facilité à dialoguer avec les présidents de Régions que certains de ses collègues du gouvernement… A quelques jours de la clôture des Etats généraux, il a fait le point pour Régions Magazine sur ses premiers mois au ministère.

Régions Magazine : Un agriculteur français sur trois perçoit moins de 354 euros par mois (et le revenu moyen tourne autour des 1.100 €/mois). Comment le ministre de l’Agriculture réagit-il à une telle réalité ?

Stéphane Travert : Beaucoup d’interviews commencent par ce chiffre, et il est bien désagréable à entendre ! Surtout quand on sait que nous avons en France la plus belle et la plus performante agriculture du monde… Je réponds qu’il faut tout mettre en œuvre pour la casser, cette réalité. L’enjeu est quadruple : alimentaire, économique, environnemental, social. Nous devons accompagner les agriculteurs dans leur transition vers de nouvelles productions, les aider à transformer leurs emplois, à les rendre plus compétitifs. Nous devons adapter notre enseignement agricole aux nouvelles réalités, le conduire à former aussi bien des chefs d’équipe que des ingénieurs agronomes. Il en va de notre santé, car des produits de meilleure qualité, une nourriture plus saine, plus équilibrée, tout cela profite à l’ensemble de la population. Mais il en va aussi de notre balance commerciale.

RM : Comment l’ambition première de l’exécutif, à savoir mieux rémunérer les agriculteurs, va-t-elle se traduire concrètement ? Et quand ?

ST : Nous partons d’un principe simple et clair : que chacun, producteur, transformateur, distributeur, soit rémunéré de façon juste. Avec une conséquence matérielle pour nos agriculteurs : qu’ils puissent vivre décemment de leur production. C’est le sens du discours prononcé par Emmanuel Macron le 11 octobre à Rungis, un discours fort, un moment important. Car s’il y passait un souffle, on y assistait, au-delà, à une transformation historique : on doit désormais construire les prix à partir du prix de revient des produits. Cela veut dire reconstruire complètement la politique des prix agricoles, c’est un changement de paradigme.

 

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RM : Si c’est tellement évident, pourquoi personne ne l’a-t-il fait avant ?

ST : Nous sommes à la fin d’un cycle, ce qui nous amène à un constat terrible : sans une agriculture performante, les distributeurs français finiront par ne plus avoir de produits français à proposer dans leurs rayons. Il y a vingt ans, on produisait des biens alimentaires, et on les mettait à la disposition des consommateurs, qui prenaient… ou pas. Cela ne peut plus fonctionner. Le consommateur est devenu exigeant, avec la qualité, avec la provenance des produits, avec le rapport qualité-prix. Moi, je ne jette surtout pas la pierre à mes prédécesseurs. Nous avons pour notre part mis en place une méthode, fondée sur le dialogue entre les acteurs, en cherchant les consensus partout où c’est possible, en réduisant les zones de dissensus, en poussant tout le monde à stopper cette guerre des prix qui tire la qualité vers le bas et nous entraine vers une nourriture low cost.

RM : C’est loin d’être gagné, quand on voit les échanges peu amènes entre les syndicats agricoles, par exemple, et un grand distributeur comme Michel-Edouard Leclerc…

ST : Détrompez-vous, la semaine dernière, nous avons réussi à faire s’asseoir tout le monde autour d’une même table, y compris Michel-Edouard Leclerc et les représentants des syndicats ! Nous avons jeté les bases d’une charte d’engagements, de responsabilités, et du même coup d’une relation durable, entre des gens qui ne se parlaient plus, qui, au mieux, s’ignoraient depuis des années. Le Premier ministre l’a dit récemment, l’Etat ne peut pas tout faire… tout seul. Mais si tout le monde s’y met, nous avons bon espoir d’arriver à convaincre les acteurs que cette transformation sociale est indispensable, en nous appuyant sur la capacité d’entraînement du président de la République.

RM : Mais vous vous situez dans le temps long, or il y a urgence, par exemple sur la contractualisation annuelle des prix ou le relèvement des seuils de revente à perte de la grande distribution…

ST : Oui, c’est pourquoi nous voulons aller très vite sur certains aspects. Pour ce que vous évoquez, il nous faut modifier le cadre légal, ce sera fait dans le courant du premier trimestre 2018. D’autres engagements seront tenus d’ici à la fin du quinquennat. J’en prend deux exemples : porter à 50 % de la restauration collective les produits alimentaires issus de l’agriculture biologique, de circuits courts et si possible de filières de qualité. Ou encore faire passer de 6 à 8 % la part de bio dans nos productions agricoles. Mais pour parvenir à un tel résultat, il faut que l’agriculteur puisse bénéficier d’un vrai revenu, qui lui autorise une capacité d’innover, de se transformer. Si son endettement est trop élevé, l’agriculteur n’a pas l’esprit à changer de modèle ; sa principale préoccupation, c’est de payer ses charges… Il faut nous atteler à un travail de simplification administrative pour les actes de la vie quotidienne : les normes européennes sont déjà complexes, et nous les “surtransposons” parfois, ce qui complique encore la vie des agriculteurs. C’est toute la chaîne qu’il faut améliorer : valoriser les métiers de l’agriculture, bien former nos agriculteurs aux nouvelles pratiques, leur donner les moyens de pouvoir s’installer ; d’accéder au foncier… Dans ma région normande, j’ai été pendant quelques années président du conseil d’administration d’un lycée agricole. Nous avons réalisé avec les élèves la conversion au bio d’une exploitation, c’était passionnant ! Nous avons fait valoir l’excellence de nos formations, à l’issue desquelles 98 % des jeunes trouvent un travail… Or il y a actuellement quelque 3.500 places disponibles dans l’enseignement agricole !

RM : Qu’attendez-vous de la fin des Etats généraux de l’alimentation ?

ST : Nous attendons que chacune et chacun se dise qu’il peut et qu’il doit être un acteur à part entière dans l’agriculture française du XXIème siècle. Nous attendons de redonner de la fierté aux agriculteurs. Et nous attendons que tous les Français soient fiers de leur agriculture.

 


Fonds FEADER : “nous rattrapons tous les retards”

RM : Comment allez-vous mettre fin à l’“affaire” des retards de paiement des fonds européens FEADER aux agriculteurs via les Régions (logiciel Osiris) ? 

ST : Le jour de mon arrivée au ministère, le 22 juin, j’ai établi un calendrier de paiement pour les aides en retard. On a commencé par me dire : “M. le ministre, ce n’est pas possible…” J’ai répondu : regardez bien ce calendrier, il n’y en aura pas d’autre, et nous le tiendrons. Les aides de 2015 sont payées en ce moment. Le retard des aides 2016 sera versé en février. Mais surtout, nous venons de débloquer les aides 2017 : 6,3 Md€ à la fin octobre dans le cadre du premier pilier ! Je pense que c’est le plus gros versement effectué en une seule fois depuis que ces aides existent… Et elles l’ont été effectivement : le jour même nous recevions des SMS qui nous annonçaient que l’argent était bien sur les comptes… Je n’ai pas envie de revenir sur ce qui s’est passé. Ce que je peux dire, c’est que nous avons investi 30 M€ sur l’outil informatique, pour que cela ne puisse plus se reproduire. Dans ce type d’affaires, c’est la crédibilité de la parole publique qui est en jeu. C’est ce qui fait que les gens se détournent du vote.

 


“Je veux travailler avec les Régions”

RM : Comment mieux aider les Régions dans leur stratégies agricoles, en particulier sur des thèmes comme les circuits courts, l’aide à l’installation des jeunes agriculteurs, la filière bio ?

ST : Je veux travailler avec les Régions, et plus généralement avec les territoires, de la façon la plus efficace possible. Dès mon arrivée, j’ai réuni un comité Etat-Régions. J’attends pour en faire un second que Régions de France se réorganise…Sur les thèmes que vous évoquez, il nous faut monter des partenariats avec les Régions qui font déjà énormément de choses, je le sais pour avoir été conseiller régional d’une Région à forte dimension agricole.  Après, les Régions demandent à devenir également autorités de gestion sur les aides du deuxième pilier. Je pense qu’il faut d’abord régler le programme en cours, voir ce qui a dysfonctionné, s’asseoir autour d’une table et regarder ce qu’il y a lieu de faire. Certes il ne faut rien s’interdire, mais en ce qui concerne la politique européenne, il faut que l’Etat conserve son rôle central. Je pense aussi qu’au niveau de la décentralisation il nous faut marquer une pause, entrer dans une période de stabilité, qu’il s’agisse de l’agriculture ou des transports, de l’éducation, de la formation professionnelle. Il faut que les Régions travaillent à fond les compétences qu’elles ont reçues de la loi.

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