Le Nord-Cotentin fait la soudure
Grâce au programme “Action soudage”, la région Normandie répond aux besoins en recrutement de ses PME de pointe. Une initiative exemplaire à plus d’un titre.
Entre Sainte-Mère-Eglise et Cherbourg-Octeville, la nationale 13 serpente agréablement dans le verdoyant paysage du Nord-Cotentin. Un décor de carte postale pour amateurs de sensations bucoliques, où le visiteur inattentif peut imaginer qu’on ne vit ici que d’élevage laitier et de production du cidre. Grave erreur !
Tenez, prenez Valognes, petit bourg de 7.000 habitants que contourne prestement la nationale. Longeant au passage la zone d’activités d’Armanville, où pullulent de dynamiques PME travaillant dans différents secteurs de l’industrie. Nombre d’entre elles œuvrent pour le compte du nucléaire. Nous ne sommes pas loin de la centrale de Flamanville, de ses deux réacteurs et de son EPR en construction, au cœur d’une Normandie qui compte trois centrales, l’usine de retraitement des déchets nucléaires de La Hague, de puissants sièges d’EDF et d’Areva. Soit plus de 18.000 salariés, qu’il faudrait prendre garde d’oublier alors que la tendance du moment est d’envisager de fermer une partie de tout cela d’ici 2050…
Au-delà de cette activité, les activités de chaudronnerie ou de métallerie constituent un des piliers de l’économie dans le Cotentin. Car on peut y ajouter la construction navale (Chantiers Allais, DCNS), ou encore l’agroalimentaire (Maîtres Laitiers, Mont Blanc) et les secteurs émergents comme les énergies marines renouvelables, qui ont permis à des entreprises de sous-traitance métallurgique de se constituer une solide réputation en France comme à l’international.
A Valognes justement, plusieurs PME ont ainsi grandi sur la zone d’activités d’Armanville. Deux d’entre elles, AP Méca, spécialisée en usinage de précision, et AH Technométal, davantage tournée vers la chaudronnerie, ont d’ailleurs choisi de se rapprocher en 2014, pour ne plus former qu’une entité et réaliser des économies de moyens et de locaux.
Aujourd’hui, une trentaine de salariés travaillent dans l’usine dont il a fallu doubler la surface, et qui connaît encore une extension depuis quelques semaines. “Même si le chantier de l’EPR commence à approcher de son terme, nous enregistrons de nouvelles commandes en particulier dans le secteur naval, ainsi que dans le domaine de la sécurisation des centrales nucléaires, très renforcée depuis la catastrophe de Fukushima”, explique Hugo Cosnefroy, directeur général d’AH Technométal. Une bonne nouvelle, mais qui se heurte à une difficulté majeure : le recrutement.
Trouver des soudeurs de pointe
C’est que, compte tenu de l’extrême technicité des chantiers, il ne s’agit pas d’embaucher ici des soudeurs débutants. “Nous travaillons dans la soudure de pointe, en particulier dans le nucléaire, qui nécessite des connaissances théoriques, mais aussi un savoir-faire, le respect de normes très précises, la maîtrise de cahiers de soudage de plus en plus pointus, l’adaptation à des valeurs spécifiques : il nous faut des soudeurs opérationnels, et de bon niveau”, précise le DG. Une denrée rare. Voire introuvable.
Il n’existe pas, en effet, d’école de soudure. Bien sûr, on trouve des formations en lycée professionnel, mais pas à ce niveau. Dès lors, que faire ? Recruter à l’étranger ? Un comble pour une région où le taux de chômage flirte avec la barre des 10 %, et bien davantage chez les jeunes. Quelques entrepreneurs du secteur, particulièrement dynamiques, ont donc décidé de se retrousser les manches, et de réfléchir ensemble à une solution. “Et ce n’était pas si facile, admet Hugo Cosnefroy dans un sourire, nous avions l’habitude de nous retrouver en concurrence plutôt que de travailler ensemble… Mais quatre ou cinq entreprises ont décidé très vite de s’investir à fond dans le projet, de tenir régulièrement des réunions, chaque vendredi soir, pour avancer de façon concrète”.
Le contact avec la Chambre de Commerce et d’Industrie Ouest-Normandie s’est avéré capital, le concours du conseil régional de Normandie, décisif. C’est en effet la Région qui est en charge de commander les formations aux organismes compétents. Même si dans un premier temps, il s’agissait tout bonnement de… créer une formation qui n’existait pas.
D’où la mise en place de l’“Action soudage Cotentin”, et le lancement d’un “pôle d’excellence” qui va permettre, dès 2018, de former et de recruter des soudeurs adaptés à la demande des entreprises. Avec à la clef la signature d’une charte (lire en encadré) qui a eu lieu le 5 juillet dernier, dans les locaux d’AP Méca justement, en présence du vice-président de la région Normandie en charge de la formation, Christian Marguerite.
“Dès la mi-juillet, un appel d’offres a été lancé pour identifier les organismes de formation compétentes. La Région reste pilote de l’opération, mais nous y sommes étroitement associés. Les entreprises accompagnent la démarche d’évaluation, font partie des jurys”. Objectif : recruter et former entre 40 et 50 soudeurs par an au minimum sur trois ans, qui seront d’abord détectés, puis perfectionnés lors d’une période de dix-huit mois en entreprise.
Car pour détecter un futur bon soudeur, rien de tel qu’un… soudeur. “Moi, je suis d’une génération intermédiaire, avoue Hugo Cosnefroy, j’ai eu la chance de travailler aux côtés des anciens, qui m’ont appris le métier, et maintenant avec des jeunes qu’il faut former. Il n’y a pas de profil trop ciblé pour ce métier. Mais quand même, il y a un tour de main qu’on a, ou qu’on n’a pas”, complète-t-il avec un regard gourmand. Les grands chantiers à venir n’ont qu’à bien se tenir : les soudeurs du Cotentin arrivent.
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