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Philippe Martin
09/03/2023
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Marc Fesneau, 52 ans, ministre de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire depuis mai 2022, a travaillé pendant plusieurs années à la chambre d’agriculture départementale du Loir-et-Cher, où il était directeur de service en charge du développement local et des fonds européens. Il a été élu à deux reprises conseiller régional du Centre-Val de Loire.

Marc Fesneau : « J’ai clairement besoin des Régions »

Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau entend bien pousser au maximum la territorialisation des stratégies agricoles. Il a répondu à Régions Magazine.

Le salon de l’Agriculture vient de refermer ses portes, mais pour le ministre, l’actualité de s’arrête jamais. Dans le monde de la macronie, il est un des rares ministres à bénéficier d’une vraie expérience d’élu local et régional. Maire pendant neuf ans de Marchenoir, un village de la Beauce de 700 habitants, aujourd’hui encore conseiller régional du Centre-Val de Loire, Marc Fesneau a également été président du groupe Modem à l’Assemblée nationale. Ministre des Relations avec le parlement et de la Participation citoyenne dans le précédent quinquennat, il est davantage sous les feux de l’actualité depuis le 20 mai 2022, date de sa nomination au poste très exposé de ministre de l’Agriculture.

Régions Magazine : Dans la série Jeux d’influence, diffusé récemment sur Arte, le ministre de l’Agriculture, incarné par Laurent Stocker, est écartelé entre les lobbies du phytosanitaire, des écologistes déchaînés, des syndicats agricoles très remontés… Peu soutenu par son Premier ministre, il finit par démissionner. Est-ce cela, votre vie de tous les jours ?

Marc Fesneau (sourire) : D’abord je n’ai pas vu la série, mais tout le monde me dit qu’il faut que je la regarde, je vais essayer de trouver un peu de temps… Ensuite, non, ce n’est quand même pas cela, même s’il est vrai que l’on vit sous un régime d’injonctions contradictoires. Tout le monde est d’accord pour renforcer notre souveraineté alimentaire, tout en allant vers une agriculture plus respectueuse du développement durable. On nous demande par exemple d’augmenter la surface des prairies qui permettent de stocker du carbone, tout en exigeant la fin de l’élevage bovin…

Notre travail, c’est de trouver un point d’équilibre, en tenant un discours de vérité.

Après la 2ème guerre mondiale, on a demandé à nos agriculteurs de massifier leur production, d’assurer notre souveraineté alimentaire tout en proposant des aliments à bas prix. 80 ans après, ce sujet n’est pas derrière nous, on le voit bien avec le conflit en Ukraine, même pour un grand pays agricole comme la France. Ajoutez-y un climat de plus en plus erratique, et la difficulté que l’on a dans ce pays à trouver un terrain de compromis : on ne peut pas traiter le problème de l’eau en trois minutes d’invectives sur un plateau télé !

Il nous faut donc faire face à des positions antagonistes, à des situations que l’on caricature. Et en incitant nos compatriotes à privilégier les produits français, ce qui n’est pas toujours le cas.

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Marc Fesneau a reçu Régions Magazine au siège du ministère, rue de Varenne.

RM : D’après le rapport de Régions de France du 6 octobre dernier, les Régions ont consacré 32 millions d’euros en 2021 à l’installation et à la transmission en agriculture. Mais dans votre présentation des vœux au monde agricole, le 16 janvier, vous n’avez pas évoqué l’action des régions. Comptez-vous travailler avec elles ?

MF : D’abord, il est important de préciser que nos positions ne sont pas contradictoires, nous portons le même message. Ma position c’est : « quels sont les sujets sur lesquels nous pouvons vous soutenir davantage ? ». Vous évoquez l’aide à l’installation : dans ce domaine j’ai clairement besoin des Régions, et les Régions ont besoin d’un Etat qui ne les contrarie pas dans leur action, au contraire.

Dans ce pays, on adore la décentralisation, mais dès qu’il y a un problème on se tourne vers l’Etat. Là aussi, c’est une question d’équilibre à trouver : il faut que les Régions exercent pleinement leurs pouvoirs, sans pour autant affaiblir la centralité de la France.

Prenez le problème de l’eau, qui a beaucoup fait parler en novembre dernier avec l’affaire de la “méga-bassine” de Sainte-Soline. Il s’agit en fait de réserves d’eau de substitution, dont une bonne partie est pompée dans les nappes phréatiques pendant la période hivernale, puis stockée en vue de l’été et des périodes de sécheresse. Il s’agit d’un modèle vertueux, mais j’ai besoin des collectivités locales pour m’accompagner dans cette démarche.

C’est la même chose pour le bio : on peut produire autant que l’on veut, mais il faut qu’il y ait un marché en France. Nous avons besoin de régions qui fonctionnent en “polyphonie d’objectifs” : la question du lait en Bretagne n’est pas la même qu’en Franche-Comté. C’est pourquoi la loi que je prépare apparaîtra davantage comme un Pacte d’avenir, fixant des grandes orientations mais surtout mettant à disposition des outils que chacun pourra utiliser en fonction des réalités qu’il vit.

Quand je parlais de la production d’après 1945, il ne faut pas oublier qu’à l’époque la France comptait près de 4 millions d’agriculteurs. Aujourd’hui, ils sont entre 350.000 et 400.000… Mais si la part démographique n’est plus la même, ce secteur d’activité pèse toujours autant dans notre souveraineté.

RM : Fin janvier, le président de la Région Hauts-de-France vous a écrit pour attirer votre attention sur le sort des betteraviers, victimes selon lui d’un arrêt de la Cour de Justice européenne qui n’accorde plus de dérogation pour utiliser des semences enrobées avec des néocorticoïdes. Que lui répondez-vous ?

MF : Je vais bien sûr répondre à Xavier Bertrand…  Et proposer des solutions qui sont de plusieurs ordres. D’abord s’assurer que l’assolement de betteraves reste stable. Ensuite, travailler très vite sur des outils de transformation, qui permettent une alternative acceptable et efficace aux produits phytosanitaires. Enfin, contrôler qu’au niveau européen on n’ajoute pas des distorsions, vérifier que cette décision s’applique à tous, pour ne pas pénaliser les producteurs français.

Il nous faut aussi sécuriser l’accès à l’eau, en favorisant toutes les pratiques agricoles qui permettent de stocker l’eau. Renforcer la recherche sur des sélections variétales moins sensibles au stress hydraulique ou au stress thermique. Renforcer nos signes de qualité, IGP, AOC, AOP, en les adaptant au dérèglement climatique : qu’on le veuille ou non, on ne produit pas le même vin qu’il y a vingt ans. Prenez la race bovine de Salers, originaire du Cantal : ce sont des bœufs nourris à 100 % avec l’herbe des prairies. Combien de temps pourra-t-on continuer à les élever ainsi ?

Propos recueillis par Philippe Martin

Photos Hugues-Marie Duclos Régions Magazine

Lire la suite de l’interview dans le numéro 166 de Régions Magazine, en kiosque à partir de cette semaine.

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