Les pieds dans le plat
De passage à Colmar pour le lancement de la Collectivité européenne d’Alsace (CeA), le Premier ministre Jean Castex a critiqué l’existence des grandes Régions.
On ne sait pas si Jean Castex a mesuré dans quel plat il mettait les pieds, lors de son passage à Colmar le 23 janvier. Pouvait-il ignorer le caractère souvent explosif des relations entre les élus alsaciens et ceux de la Région Grand Est, et le climat de contestation qui règne encore en Alsace quant à l’existence même de cette Région ?
Toujours est-il que le Premier ministre a joué, volontairement ou pas, les éléphants dans un magasin de porcelaine. Là où il aurait pu se contenter de se réjouir de l’existence d’une nouvelle collectivité, il est allé beaucoup plus loin, en déclarant notamment : “Le désir de retrouver une Alsace reconnue ne constitue ni une lubie folklorique, ni une menace à l’unité de la République. Au-delà de l’Alsace, je voudrais vous faire une confidence personnelle : je n’ai jamais été convaincu par la création de ces immenses régions, dont certaines ne répondent à aucune légitimité historique et surtout ne me paraissent pas répondre aux besoins grandissants de nos concitoyens pour une action publique de proximité.”
Le Premier ministre a par ailleurs indiqué avoir demandé à la préfète de Région d’entamer “sans délai avec les élus de la CEA la négociation d’un accord de relance, qui permettra de co-financer avec l’État des projets pourvoyeurs d’activité et d’emplois pour les deux années à venir. Une fois cette étape franchie, je suis favorable à ce que nous allions plus loin et que nous élargissions les compétences de la nouvelle collectivité, dans le cadre d’un dialogue avec l’ensemble des parties prenantes”.
De quoi réjouir les élus départementaux de l’Alsace, à l’image du premier président de la nouvelle collectivité Frédéric Bierry, qui a rappelé qu’il souhaitait “le démembrement de la région Grand Est, permettant de reconstituer une région Alsace”, et précisant que quitter la région Grand Est constituait une demande récurrente de la part des élus alsaciens.

De quoi en revanche faire bondir les élus du Grand Est, à commencer par leur président l’Alsacien (et ancien maire de Mulhouse) Jean Rottner, très déçu des déclarations ministérielles, prononcées en présence de quatre ministres de la République : “Est-ce qu’un Premier ministre s’exprime à titre personnel ? Je ne pense pas. Le président de la République avait dit qu’on ne redécouperait pas les régions, cette prise de parole décrédibilise la parole publique et la continuité de l’Etat”, at-il fermement dénoncé.
Rappelons au passage que les Alsaciens avaient rejeté la fusion des deux Départements lors du référendum du 7 avril 2013. Si les Bas-Rhinois avaient voté majoritairement pour, les Haut-Rhinois l’avaient massivement refusée, à 57,74%, lors d’un scrutin qui avait vu le taux d’abstention dépasser les 65%. Comme si ce débat sur la réunification semblait intéresser davantage les élus des deux Départements… que les Alsaciens eux-mêmes.
Une collectivité supplémentaire
Issue de la fusion des conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, la Collectivité européenne d’Alsace (CeA) a été installée le 2 janvier à Colmar. Frédéric Bierry, ex-président du conseil départemental du Bas-Rhin et qui était le seul candidat, a été élu président de la nouvelle assemblée.
Au regard de la Constitution, la CeA n’a pas de statut particulier comme la Corse. Elle conserve deux préfets et deux préfectures d’Etat, contre un seul conseil départemental aux pouvoirs supplémentaires.
Cette organisation politique et administrative est composée de 80 conseillers d’Alsace représentant les cantons du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, soit 40 binômes hommes/femmes.
Les services et politiques de la CeA sont ceux des deux conseils départementaux auxquels s’ajoutent des compétences spécifiques et particulières à l’Alsace, liées notamment à sa situation géographique.
La CeA « représente une seule collectivité qui agit dans la proximité à l’échelle de l’Alsace et avec ses voisins transfrontaliers, l’Allemagne et la Suisse. Son statut unique est renforcé par sa position dans l’espace rhénan et les institutions européennes qui lui donnent une importance particulière en Europe ».
En plus des compétences habituelles des Départements, la CeA récupère quelques compétences supplémentaires : coopération transfrontalière, bilinguisme et enseignement de la langue régionale, tourisme et développement, routes nationales dont l’A35 et l’A36 ; et enfin la culture et le patrimoine régional. Mais elle ne se substitue pas à la région Grand est. La nouvelle collectivité compte 6.200 agents pour 1,9 million d’habitants. Et un budget de 2 milliards d’euros.
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