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Philippe Martin
09/08/2020
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Les leçons des municipales

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Abstentionnisme record, vague verte, déroute du parti présidentiel : au-delà des constats, quelle analyse peut-on faire de ce scrutin municipal hors normes ? Quelles conséquences pour les régions ? L’analyse de Roland Cayrol.

Après chaque élection, les dirigeants politiques en tirent des leçons “stratégiques” pour les scrutins à venir. Et, à chaque fois, ils se trompent ! Pour une raison simple : le citoyen ne vote pas de la même façon aux différents niveaux d’élection.

La République en Marche avait vu dans les Européennes un signe annonciateur de ses prochaines “victoires”, et cela l’a encouragée à jouer une stratégie autonome aux Municipales, qui s’est révélée catastrophique. Or les Européennes, notre seul scrutin à la proportionnelle n’ont, depuis leur création en 1979, jamais été prédictives des scrutins suivants.

Même chose pour les Municipales. On a beaucoup glosé sur le niveau record de l’abstention du 28 Juin, en y voyant le signe d’une profonde désaffection pour la politique. On l’a d’autant plus souligné que les Municipales ont souvent été présentées comme “les élections préférées des Français” – oubliant au passage que les Municipales 2014 avaient tout de même enregistré 36,5% d’abstentions au premier tour, et 38 % au second…

L’auteur de ces lignes a suffisamment écrit sur le décalage béant entre les préoccupations citoyennes et la vie politique, pour négliger ce facteur de désamour politique. Mais enfin, nos compatriotes l’ont dit aux sondeurs, la cause essentielle de la montée de l’abstention cette fois-ci a été la situation sanitaire, et la déconnexion des trois mois d’un tour à l’autre.

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Roland Cayrol est Directeur de Recherche associé à la Fondation Nationale des Sciences Politiques, et directeur conseil de Régions Magazine. Photo Anne Lacaud.

La cause essentielle de la montée de l’abstention cette fois-ci a été la situation sanitaire, et la déconnexion des trois mois d’un tour à l’autre.

Bon, chacun veut voir dans les résultats des Municipales ce qui va dans son sens. Les Verts se pensent déjà à l’Elysée. Des présidents de Régions s’imaginent privés de leur fauteuil par le prochain tsunami vert. Le PS et LR se sentent renaître. Les uns et les autres se persuadent que Macron est “cuit“. Comme en 1947, les Gaullistes avaient vu dans leur raz-de-marée municipal l’assurance d’un prochain retour au pouvoir du Général. Comme en 1977 ou en 2001, les dirigeants de la gauche s’étaient persuadés de leur inexorable victoire à la présidentielle suivante…

Les pronostics d’aujourd’hui seront peut-être, qui sait, vérifiés (pour les Régionales, si elles ont lieu en 2021, ou pour la Présidentielle de 2022). Mais il est téméraire, et le plus souvent inexact, de tabler sur des résultats à un certain niveau d’élection pour en inférer ceux des suivantes.

Bien sûr, il est tout aussi erroné de prétendre, comme l’a avancé le chef de l’Etat – après plusieurs de ses devanciers – que les élections municipales ne seraient qu’une addition de scrutins locaux, sans signification politique nationale.

Les Municipales sont évidemment des élections politiques, où les étiquettes pèsent au moins autant que les personnalités. Surtout dans les villes. Et n’oublions pas que les Français vivent surtout dans des villes…

Il est clair qu’on doit voir des leçons politiques dans ces résultats. La vague verte a bien déferlé. Le mélange des suffrages entre les formations de gauche et les écologistes s’est bien opéré. Le centre-droit municipal (notamment LR) et le socialisme municipal ont fait mieux que résister. La REM a fait la preuve qu’elle n’existait pas, comme parti.

A chaque acteur politique d’en tenir désormais compte. Même si, lors d’une Présidentielle, les cartes sont chaque fois rebattues : on ne juge plus alors, seulement un bilan, mais les avantages et inconvénients comparatifs de chaque candidat. Ce qui explique qu’aujourd’hui, dans les sondages d’intentions de vote, Macron gagne, alors que ses amis reçoivent une claque magistrale dans le pays ! Les Régionales, aussi, connaîtront une autre structuration du comportement électoral.

La vague verte traduit la montée des préoccupations écologistes dans la population. Les Régions ont ainsi un grand intérêt à se lancer encore plus totalement dans une profonde transition écologique.

Plutôt que de jouer aux vains pronostics, on pourrait peut-être méditer deux éléments de ce dernier scrutin, qui pourraient rester d’actualité.

D’abord, la soif réaffirmée d’un renouveau politique (que certains affublent du vilain mot de “dégagisme”). Après la vague législative macronienne, la vague verte traduit la montée des préoccupations écologistes dans la population. Les Régions ont ainsi un grand intérêt à se lancer encore plus totalement dans une profonde transition écologique, elle marque aussi le souhait de confier des responsabilités à de nouveaux décideurs politiques, en raison, non de leur personnalité – puisque ces nouveaux-venus sont souvent peu connus – mais de leur engagement.

À Lyon, Bordeaux, Besançon, Strasbourg, Lyon, Poitiers, Tours, Annecy, les électeurs ont considéré les écologistes comme suffisamment motivés pour leur confier les clés de la ville. C’est une donnée à prendre en compte. Les partis “traditionnels” ont eux-mêmes parfois su localement se donner des visages nouveaux. Mais l’effort est sans doute à poursuivre au niveau national, et régional. Il ne s’agit pas seulement de trouver des personnalités nouvelles, mais bien d’affirmer des “engagements” sur le fond, qui répondent aux nécessités de l’heure, et n’apparaissent pas comme un simple recyclage de projets passés.

La déroute du parti de la majorité doit faire réfléchir, elle a montré son incapacité à construire un projet politique cohérent, pour les habitants.

Et puis, la déroute du parti de la majorité doit faire réfléchir. Dans la plupart des villes où elle avait eu l’audace d’avoir des candidats autonomes, La REM a été balayée ; dans les autres, elle a choisi l’alliance de premier tour au centre-gauche dans un tiers des cas, au centre-droit dans deux-tiers. Et au second tour, presque partout avec la droite, face au “danger écologiste”… au moment même où était annoncé le “tournant écologiste” du quinquennat ! Et elle a perdu ! D’une manière générale, elle a ainsi montré son incapacité à construire un projet politique cohérent, pour les habitants.

On y a insisté, les Municipales ne structurent jamais les élections nationales, ou régionales, qui suivent. Mais il y a souvent, dans les élections, la recherche par l’électeur d’une logique, d’une orientation d’avenir cohérente, oserait-on dire d’une morale ? Peut-être conviendra-il de s’en souvenir…

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