À LA UNE
Philippe Martin
26/06/2022
220626 Regions Magazine Homepage01

Le rapport accablant de la Cour des Comptes

Sans son rapport, la Cour souligne le succès mais aussi les importantes dérives de la réforme de l’apprentissage, dérives soulignées à de multiples reprises par les Régions.

Dans son rapport rendu le 23 juin, la Cour des Comptes fait le point sur la dernière réforme de l’apprentissage, résultant de la loi du 5 septembre 2018 “pour la liberté de choisir son avenir professionnel”, et malgré la montée en puissance du nombre d’apprentis depuis cette réforme, ses conclusions ne sont pas tendres pour les résultats réellement enregistrés.

En effet, les juridictions financières soulignent que, « malgré les quelque 800.000 jeunes entrés en alternance en 2021 et le doublement du coût de ce dispositif, le développement de l’alternance n’apporte pas suffisamment de réponses aux jeunes en situation de fragilité, ni aux entreprises rencontrant des difficultés de recrutement et aux besoins spécifiques des territoires. »

Entre 2016 et 2021, le nombre d’entrées de jeunes en alternance est passé de 438.000 à près de 800.000, soit une hausse de 82 %, largement imputable aux années 2019 à 2021. Alors que les entrées en contrat de professionnalisation se sont effondrées, le nombre d’entrées en apprentissage a augmenté, malgré la crise sanitaire, de 42 % en 2020 et de 39 % en 2021. Selon la Cour, « cette croissance inédite repose, d’une part, sur la mise en œuvre de la réforme intervenue fin 2018, qui a facilité la création de formations en apprentissage, et, d’autre part, sur les aides exceptionnelles versées aux employeurs dès la rentrée 2020. Cette hausse des effectifs s’est accompagnée d’une évolution du profil des apprentis : en 2020, les apprentis préparant un diplôme supérieur sont devenus majoritaires (51 %), quand la part des apprentis préparant un diplôme d’un niveau inférieur ou équivalent au baccalauréat professionnel s’élevait à 63 % en 2016 ».

En parallèle, les effectifs se concentrent sur le secteur tertiaire plutôt que sur les secteurs traditionnellement concernés, comme l’industrie, la construction ou l’agriculture. Pour la Cour des Comptes, cette recomposition « ne correspond plus aux objectifs historiquement associés au soutien à l’apprentissage, qui visait depuis près de 20 ans à améliorer l’insertion professionnelle des jeunes titulaires des plus bas niveaux de qualification, qui sont ceux qui rencontrent le plus de difficulté à s’insérer sur le marché du travail. »
Les Sages de la rue Cambon soulignent au passage le déséquilibre financier suscité par cette réforme, qui a fait augmenter le coût par apprenti et génère un déficit très important de l’opérateur chargé de son financement de la formation professionnelle (France compétences) en 2020 (4,6 Md€) et en 2021 (3,2 Md€ provisoires).

Surtout, la Cour des Compte déplore« des limites d’accès persistantes et de nouveaux risques concernant l’adéquation de l’offre de formation aux besoins des entreprises et des territoires : Le nombre d’apprentis préparant des diplômes de l’enseignement secondaire, pour lesquels l’apprentissage favorise le mieux l’insertion professionnelle, avait nettement baissé de 2000 à 2017 et a peu augmenté depuis, malgré l’essor récent de l’apprentissage. Il est nécessaire de mieux adapter les actions de promotion et de soutien à l’apprentissage aux âges des populations concernées. »

Dans cet objectif, préconisent les magistrats, « il conviendrait de renforcer les relations entre les établissements scolaires et les CFA, notamment dans les quartiers prioritaires de la ville. Par ailleurs, la réforme a entraîné la création de très nombreux CFA plus particulièrement positionnés dans des formations tertiaires et supérieures au niveau bac+2. Or, il existe un risque que la réforme fragilise les formations peu attractives, pourtant nécessaires aux filières économiques, et entraîne une évolution de l’offre uniquement tirée par la demande des jeunes et la rentabilité des CFA. La Cour recommande ainsi de mettre en place une concertation entre les principaux acteurs régionaux. »

Pour les Régions, une « désastreuse recentralisation »

Bien entendu, l’association des Régions de France a repris à son compte les critiques formulées ainsi que les propositions de la Cour des Comptes. Selon les Régions, ce rapport « valide l’analyse maintenue contre vents et marées par les Régions depuis la réforme de 2018 et la désastreuse recentralisation de la compétence : l’augmentation des entrées en apprentissage est d’abord due aux effets d’aubaine et aux aides exceptionnelles versées aux employeurs. 

Surtout, la réforme ne bénéficie pas à ceux qui ont le plus de difficultés à s’insérer : les jeunes de niveau bac et infrabac, aujourd’hui minoritaires dans les effectifs d’apprentis. Avec raison, les rapporteurs notent le déséquilibre de l’offre de formation avec la création en surnombre de CFA dans le tertiaire, la persistance des difficultés d’accès à l’apprentissage pour les jeunes des territoires ruraux, péri-urbains ou des quartiers. La Cour déplore même l’absence de concertation et de régulation de l’offre de formation qu’effectuaient jusqu’à présent les Régions ! »

Pour ces dernières, « Le rapport pointe de façon implacable le manque d’anticipation de la loi de 2018, qui aboutit aujourd’hui à un déficit abyssal dans les comptes de France Compétences : 7,8 Mds€ en cumulé sur 2020 et 2021, et encore 5,9 Mds€ en 2022.
Les Régions sont aujourd’hui disponibles pour avancer à la mise en œuvre des 10 recommandations de la Cour pour rétablir les comptes et orienter les jeunes qui en ont réellement besoin vers l’apprentissage, en lien avec l’Education nationale et les partenaires sociaux. »

Sans revenir à la gouvernance d’avant 2018, les Régions demandent à ce que leur soit confiée la maîtrise de la carte des formations initiales de la voie professionnelle, sous statut scolaire comme par l’apprentissage. La proposition de charger les Régions d’organiser une concertation annuelle avec les opérateurs de compétences et les branches professionnelles sur les filières de formation et les projets des CFA à soutenir, va dans ce sens. Tout comme celle d’ajuster les enveloppes régionales affectées à l’investissement en tenant compte de l’évolution des effectifs en apprentissage.

Pour lire la suite abonnez-vous à Régions Magazine
À LIRE ÉGALEMENT
Voir tous les articles