Le nucléaire au cœur des régions
Dominique Minière, patron du parc nucléaire et thermique français, évoque pour Régions Magazine la sécurité dans les centrales. Ou le nucléaire au cœur de l’actualité des régions.
Il ne se passe pas un jour sans que l’énergie nucléaire soit au cœur de l’actualité dans notre pays. Qu’il s’agisse de la vente de réacteurs EPR à l’Inde, de la fermeture programmée de Fessenheim, ou encore de la condamnation des militants de Greenpeace après l’intrusion à la centrale de Cattenom, l’atome est constamment en première ligne. Logique après tout dans un pays où 80 % de l’électricité produite y prend encore sa source. On mesure la pression qui peut peser sur l’homme placé à la tête de l’ensemble de notre parc de centrales. Difficile à imaginer pourtant lorsqu’on rencontre Dominique Minière, directeur exécutif du Groupe EDF en charge du Parc nucléaire et thermique. Souriant, affable, et surtout constamment pédagogique dès qu’il s’agit d’expliquer le fonctionnement de notre système énergétique. C’est d’ailleurs à lui que le Comité National de l’Industrie vient de confier la présidence et le pilotage du Conseil stratégique de la Filière nucléaire. En répondant à Régions Magazine, le patron de nos installations nucléaires n’a cherché à éluder aucune question. Et il explique également à quel point cette filière pèse dans l’équilibre, énergétique bien sûr, mais aussi économique, de nos régions françaises.
Régions Magazine : Il existe un gros décalage entre la façon dont EDF présente son parc nucléaire français, et une réalité que l’on dépeint souvent comme plus morose, notamment en raison d’un parc vieillissant. Dans dix ans, 48 réacteurs nucléaires sur les 58 que compte la France auront atteint la limite d’âge des quarante ans. Comment, dans ces conditions, le présenter comme étant en parfait état de marche ?
Dominique Minière : Notre parc nucléaire est en bon état de fonctionnement, avec un niveau de sûreté qui n’a jamais été aussi élevé. Je m’explique : au fil des années et des visites décennales, le niveau de contrôle s’améliore sans cesse. Nous disposons pour l’évaluer de nombreux indicateurs-phares.Prenez l’un de ceux qui parlent le plus au grand public : le nombre d’arrêts automatiques des réacteurs. Pour faire simple, un réacteur s’arrête automatiquement lorsqu’on a sollicité son niveau de protection. Moins on subit ce type d’arrêts, plus on est éloigné de cette situation qui n’est évidemment pas souhaitée. Pour l’évaluer, il faut se situer sur un temps long, mettons sur dix ans : sur cette période, le nombre d’arrêts automatiques a baissé de 2,5 fois. On est passé d’une cinquantaine d’arrêts par an à un peu moins de vingt pour l’ensemble du parc. La raison en est simple : les contrôles sont poussés de plus en plus loin, les rénovations sont plus complètes. Chaque année, nous investissons 4 milliards d’euros pour améliorer le niveau de sûreté de nos centrales.Et on peut dire la même chose à propos de la radioprotection de ceux qui travaillent dans les centrales, ou encore de la sécurité au travail, avec un taux de fréquence des accidents du travail divisé par deux en dix ans.
“Je le dis et je le maintiens : plus nos centrales prennent de l’âge, et plus elles sont sûres !”
RM : Reste la question cruciale de l’âge du parc…
DM : Je l’avais dit voici quelques années (et cela m’avait valu les honneurs du Canard Enchaîné !), plus nos centrales prennent de l’âge, plus elles sont sûres… C’est un peu comme quand vous rénovez sans cesse votre maison, que vous modernisez son système de chauffage, que vous améliorez son isolation : vous la rendez de plus en plus performante. Combien de temps peut “durer” une centrale ? Les Américains déposent des licences pour des durées de 80 ans. Nous n’avons pas le même système, mais nous estimons pour notre part que tout peut être remplacé dans une centrale nucléaire, sauf deux éléments : les enceintes des bâtiments réacteurs, et surtout les cuves des réacteurs. En raison des rayonnements qu’elles reçoivent, ces cuves ont tendance à se durcir, un peu comme une matière plastique placée sous les rayons du soleil. Nous y sommes donc particulièrement attentifs, même si nous sommes certains que nos cuves peuvent sans problème fonctionner sur une période de soixante ans.C’est pourquoi EDF a engagé un programme appelé le “Grand Carénage”, qui représente un investissement de 45,6 Md€ sur la période 2014-2025, soit en moyenne 4 Md€/an. Malgré cet investissement très important, nous avons pu dans nos centrales maintenir ce qu’on appelle le “coût restant à engager”, (NDLR : qui permet de mesurer s’il y a intérêt ou non à poursuivre l’exploitation de l’équipement), à 32 euros/MWh. Aucun autre moyen de production d’énergie n’est davantage compétitif.
RM : Plusieurs observateurs, et un livre récent, “Nucléaire, danger immédiat”, révèlent pourtant l’existence de fissures dans les cuves de certains réacteurs. Qu’y répondez-vous ?
DM : Ce que nous appelons les défauts sous revêtement est un sujet connu et suivi depuis des années. Les cuves des réacteurs font l’objet d’un contrôle approfondi dès la fabrication, puis à chaque visite décennale. Les indications que nous avons détectées lors de ces contrôles, et qui sont liées à leur fabrication, sont suivies étroitement, elles restent stables et n’ont jamais évolué dans le temps. Ces défauts ont toujours été publics, dès leur mise en évidence. Ces indications ne remettent évidemment pas en cause l’exploitation du réacteur en toute sûreté. Pour le reste, cet ouvrage contient de graves inexactitudes qui nuisent à l’image d’EDF et au professionnalisme des salariés.
RM : Il y a aussi ces tentatives d’intrusion d’individus extérieurs, le plus souvent de militants de Greenpeace, dans les centrales, qui inquiètent le grand public…
DM : En ce qui concerne la sécurité extérieure des centrales, il existe plusieurs “modèles”. Dans le modèle allemand, on “bunkerise” tout. Dans les modèles chinois, russe et américain, les forces de sécurité ont pour ordre de tirer à vue sur des individus qui s’approcheraient d’une centrale, et a fortiori, qui y pénètreraient. Vous constaterez d’ailleurs que les militants de Greenpeace se gardent bien d’approcher d’une centrale russe, américaine ou chinoise…Et puis il y a le modèle français, ou plutôt européen, qui organise la centrale sous forme de trois cercles concentriques, avec, tout au centre, ce que nous appelons la “zone vitale”, où personne ne peut pénétrer, et où personne n’a jamais pénétré d’ailleurs.
RM : Qui en assure le contrôle ?
DM : Ce sont les services d’EDF, 1.500 salariés d’EDF et prestataires, qui sont chargés de la surveillance et de la détection, mais ce sont les pelotons spécialisés de la Gendarmerie Nationale, un millier de gendarmes formés par le GIGN, qui sont chargés de l’interception et de la protection matérielle des lieux aux côtés des équipes d’EDF. Ce système de sécurité fonctionne parfaitement, et les individus en question le démontrent à leur corps défendant puisqu’ils sont rapidement interpellés à chaque fois. Il n’en reste pas moins que ces intrusions sont inadmissibles, car elles perturbent le fonctionnement de notre système, et surtout parce qu’elles pourraient recouvrir une action terroriste. C’est pourquoi EDF se porte systématiquement partie civile, a fortiori depuis le vote, le 2 juin 2015, de la loi De Ganay, qui établit que désormais ces zones relèvent du Code de la Défense nationale, et que toute intrusion peut donner lieu à des amendes allant jusqu’à 75.000 € et à des peines jusqu’à cinq ans de prison ferme. Sans compter les dommages-intérêts qu’EDF est en droit de réclamer. La première condamnation de ce type vient d’ailleurs d’être prononcée après l’intrusion dans la centrale de Cattenom (NDLR : le 27 février dernier, huit militants de Greenpeace ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Thionville à des peines allant de deux mois de prison ferme à cinq ans avec sursis, ainsi qu’à des amendes. Ils ont fait appel de cette décision).
“Aujourd’hui, chaque Région développe sa propre stratégie énergétique”
RM : Les centrales, nucléaires et thermiques, sont présentes dans la quasi-totalité des régions françaises, des régions avec lesquelles EDF est en train de signer un nouveau type de convention, comme en Normandie, en Occitanie ou en Hauts-de-France. Constituent-elles désormais des interlocuteurs privilégiés pour EDF ?
DM : Les Régions, comme l’ensemble des collectivités territoriales, constituent des interlocuteurs naturels pour le Groupe EDF. Le nucléaire, troisième filière industrielle de France, représente 220.000 salariés, qui travaillent au sein de 2.600 entreprises. Si je zoome sur les emplois soutenus par la production nucléaire, cela représente de surcroît 17.200 emplois induits en Île-de-France, 7.600 en Auvergne-Rhône-Alpes, 5.000 dans le Grand Est. Je précise au passage qu’il s’agit pour l’essentiel d’emplois stables, qualifiés, bien rémunérés, bénéficiant de formations et de perspectives de carrières. Ce qui est intéressant aujourd’hui, c’est que chaque Région développe sa propre stratégie énergétique, avec souvent des enjeux différents, des visions différentes. A chaque fois, EDF met ses ressources au service des transitions dans les territoires.
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