Le globe-trotter des territoires
Le patron de la Banque des Territoires Olivier Sichel est au cœur d’une turbine dont la fonction consiste à rééquilibrer notre pays. Il a expliqué comment à Régions Magazine.

Il est partout. Mais vraiment partout ! Depuis qu’il a pris en charge la direction de la Banque des Territoires, en mai 2018, Olivier Sichel n’a pas compté ses kilomètres, parcourus essentiellement en TGV. Et c’est bien dommage, car on devrait atteindre un chiffre digne d’entrer dans le livre des records… Ce dont il est sûr, c’est qu’il a déjà visité la bagatelle de 76 départements : « Plus que 24 ! », lance dans un sourire ce véritable globe-trotter des territoires. Sa connaissance fine de la France, mais aussi de ses élus régionaux et locaux, ajoutée à sa simplicité souriante, et à sa pratique du monde de l’entreprise (dans une vie antérieure, il a été PDG de Wanadoo, qu’il a développée, et de LeGuide.com Group) constituent autant d’atouts quand il s’agit de porter la bonne parole. Ou plutôt de transformer la parole en actes.
Car la Banque des Territoires n’est pas précisément un gadget pour nostalgiques de la DATAR. Cette direction de la Caisse des Dépôts est devenue, en trois ans à peine, l’interlocuteur incontournable des collectivités, des maires, bien sûr, mais aussi des présidents d’agglos, de départements, et de régions. Acteur majeur du programme « Action Cœur de ville », qu’elle anime aux côtés de l’ANCT (Agence Nationale de Cohésion des Territoires), la Banque des Territoires a financé en trois ans plus de 58 milliards d’euros de projets portés par les collectivités, et est apparue comme un élément moteur des plans de relance post-Covid. La seule chose qu’on pourrait lui reprocher, c’est de ne pas communiquer suffisamment sur ses réussites. Ça tombe bien, Régions Magazine s’y emploie.
Régions Magazine : Notre revue consacre le dossier de son numéro 161 aux “nouvelles attractivités des territoires”, un phénomène que la crise sanitaire a contribué à accélérer. Le ressentez-vous à votre niveau, avec ses aspects positifs et négatifs ? Comment la Banque des Territoires peut-elle s’inscrire dans ce mouvement de fond de la société française ?
Olivier Sichel : On peut dire d’une certaine façon que nous avons pressenti le besoin des territoires de renforcer leur attractivité. C’est pour cette raison que notre action repose sur 4 axes fondateurs : des territoires plus inclusifs, plus durables, plus connectés… et plus attractifs. Nous avons consacré à ce seul chapitre plus de 6 Md€ d’investissements, soit 11 % de notre budget global. Et on peut considérer aussi que rendre les territoires plus inclusifs, via la construction de logements ou l’installation de Maisons France Services, relève également de l’attractivité.
Il s’agit pour nous de revitaliser notre pays, de le rééquilibrer, de lutter contre les fractures territoriales, et nous le faisons auprès des collectivités autour de trois axes forts. Conseiller, à travers les nombreuses études d’ingénierie que nous lançons à leur demande. Financer, qu’il s’agisse de prêts ou de soutien à l’investissement, ce dernier volet est encore renforcé par les plans post-Covid. Et opérer, en particulier grâce à notre branche CDC Habitat tournée vers la construction de logements. Savez-vous que plus d’une commune sur dix, parmi les 222 participants au programme « Action cœur de ville », a un programme d’habitat en cours ?
De plus, tout est lié. Quand on veut faire revivre le centre d’une commune, on soutient la création de commerces. Mais si les commerçants s’installent, il faut les loger. Et si les clients veulent venir, il faut qu’ils puissent utiliser des autobus, des mobilités douces, des parkings à une distance psychologiquement acceptable.
RM : C’est-à-dire ?
OS : C’est le problème du “tout-piéton” de certains centres-villes, contre lequel les commerçants s’insurgent parfois. Par exemple : j’étais à Bourg-en-Bresse il y a un mois, où une partie du centre-ville est piétonnisée. Un projet de grand parking en entrée de ville est en cours, à environ 800 mètres. Protestation générale : « c’est trop loin pour accéder aux commerces ».
Or nous avons calculé que, lorsque vous quittez votre voiture garée assez loin sur le parking d’un hypermarché, et que vous vous rendez à un point situé à l’extrémité du magasin, vous parcourez exactement la même distance ! Dans le cas de ce parking, nous avons réalisé que ce n’est pas tant la distance mais le « ressenti » sur le parcours à pied qui est bloquant. Nous nous employons donc avec la Ville à rendre le trajet agréable, éclairé, sécurisé, en comblant ce qui était un no man’s land, en réagençant l’espace.
RM : Même si vos premiers interlocuteurs sont les élus de proximité, comme les maires, vous travaillez également de concert avec les Régions, en soutenant leurs projets de développement autour de la rénovation énergétique, du tourisme, de l’industrie, du très haut débit, notamment. Pouvez-vous donner cinq exemples emblématiques de ces soutiens, si possible dans cinq régions différentes ?
OS : Bien entendu, nous travaillons aussi beaucoup avec les Régions, la difficulté est de choisir cinq exemples parmi tant d’autres !
D’abord en Pays de la Loire, sur une idée venue de la présidente Christelle Morançais, nous avons lancé la Foncière ImmoTourisme. Il s’agit d’un dispositif de « leaseback hôtelier » permettant d’apporter des moyens financiers aux nombreuxhôteliers qui ont été fragilisés par la phase Covid malgré les aides de l’Etat. Nous proposons de racheter les murs de leur hôtel. Avec les fonds, l’hôtelier, qui bien sûr reste gérant, retrouve de la trésorerie pour faire face aux dépenses courantes et effectuer des travaux de rénovation.
On lui laisse le temps de se refaire une santé financière, de bien se relancer, et ensuite il nous rachète son hôtel à son prix de vente, sans que nous fassions de bénéfices sur ce rachat bien entendu. Nous ciblons une cinquantaine d’hôtels de taille moyenne, une dizaine de dossiers sont déjà bouclés ou en passe de l’être à Nantes, Doué-la-Fontaine dans le Maine-et-Loire ou encore Saint-Lyphard en Loire-Atlantique.
Dans un registre qui allie lutte contre la vacance commerciale et l’attractivité touristique d’un territoire, nous avons créé en Occitanie avec l’Etat, la présidente Carole Delga, l’anct et l’Etablissement Public Foncier d’Occitanie, grâce auquel nous rachetons et rénovons les murs de commerces laissés à l’abandon, pour les louer ensuite à un candidat pour une période d’essai d’au moins six mois, ce qui permet de voir si le commerce est viable ou non..
Avec la Région Bretagne et son président Loïg Chesnais-Girard, nous avons lancé Breizh Immo, un dispositif similaire de rachat et de rénovation de biens immobiliers, que nous avons, cette fois, élargi aux industriels et entreprises. Nous avons déjà réalisé ce type d’opérations à Saint-Brieuc, à Quimper, à Morlaix, et cela fonctionne bin.
En ce qui concerne le développement durable, nous avons décidé d’innover avec le président de la Région Sud, Renaud Muselier, et la Ville de Nice, qui travaillent ensemble sur le projet MONANhySSA, en créant la première station d’avitaillement pour les bus à hydrogène vert. Ce sera une première en France, un projet auquel la Banque Européenne d’Investissement s’est associée, et qui sera mis en place dans la ville de Nice.
Enfin, dans le secteur des transports, nous sommes partie prenante dans le très ambitieux projet de l’aménagement de l’Axe Seine-Nord, avec Hervé Morin pour la Région Normandie, Édouard Philippe pour la ville du Havre, Nicolas Mayer-Rossignol pour la ville de Rouen… Il s’agit d’en faire tant un axe logistique de première importance pour servir et ravitailler la région parisienne, qu’un accélérateur de la transition énergétique en impulsant des projets de production d’énergies renouvelables
Propos recueillis par Philippe Martin