“La Région bénéficie de toutes les retombées”
Le président du conseil régional Renaud Muselier a changé de méthode pour récupérer un maximum d’investissements de l’État. Il explique comment à Régions Magazine.
« Ce n’est pas le préfet qui va venir contrôler mes comptes ! ». Dans le précédent supplément de Régions Magazine consacré à sa région, en juin 2019, Renaud Muselier affirmait haut et fort sa volonté décentralisatrice et son rejet des dispositifs gouvernementaux destinés à contrôler les dépenses des collectivités, les fameux “contrats de Cahors”, tombé depuis dans les oubliettes du Covid et de l’Histoire…
Depuis, le discours du président de la Région Sud a quelque peu évolué. Son rapprochement avec la macronie, lié à sa réélection aux dernières régionales, l’a poussé à adopter une autre méthode de fonctionnement : travailler davantage avec l’État dès que cela peut rapporter à sa région. Ce qui ne l’empêche pas de fustiger au passage quelques-unes des dernières réformes gouvernementales, et quelques ministres tels Olivier Dussopt, qui a remplacé Muriel Pénicaud au poste peu enviable de cible préférée.
Mais le petit-fils de l’amiral Muselier a l’habitude parler cash, ce qui rend d’autant plus intéressante l’interview qu’il a accordée à Régions Magazine.
Régions Magazine : Dans notre dernier supplément consacré à la Région Sud, vous étiez très critique envers la réforme de l’apprentissage menée par la ministre Muriel Pénicaud. Vous évoquiez une « démarche de recentralisation aveugle ». Quatre ans plus tard, quel bilan faites-vous de cette réforme ?
Renaud Muselier : J’étais président de Régions de France à cette époque, l’apprentissage était en plein développement grâce au travail des Régions. Le gouvernement a voulu le récupérer. Le résultat, on le connaît : le développement s’est certes poursuivi, mais en creusant une dette abyssale, ce que nous avions prévu à l’époque. Pour notre part, ici en Région Sud, nous n’avons jamais lâché l’apprentissage. La preuve, nous y consacrons encore 11 M€.
Je trouve simplement qu’au niveau du gouvernement, on partage peu le succès… et qu’on oublie le mérite des Régions dans ce qui fonctionne.
RM : Dans le même registre, la présidente de Régions de France Carole Delga vient de qualifier le projet France Travail porté par le gouvernement, gouvernement que vous soutenez par ailleurs, de « régressif et recentralisateur ». Comment vous situez-vous, alors que vous êtes aux côtés de Carole Delga pour appuyer les propositions de Régions de France ?
Renaud Muselier : Sur ce projet, disons que j’ai un jugement moins heurté, mais que je reste très réservé. Il y a d’abord un problème de méthode, qui relève beaucoup de la personnalité des ministres, parfois incapables de faire appliquer un choix politique par les “techniciens” qui travaillent dans les ministères. Si vous reprenez le cas de l’apprentissage, Mme Pénicaud, que j’ai affrontée très violemment à l’époque, a été incapable de faire appliquer quoi que ce soit pendant deux ans. Quand Mme Borne lui a succédé, ça a été réglé en vingt minutes !
Pour France Travail, on retrouve le même ministère, et les mêmes causes produisent les mêmes effets. Vous avez un ministre, M. Dussopt, qui devait être occupé ailleurs, à faire autre chose, et des fonctionnaires qui fonctionnent en silo, le tout sans la moindre concertation.
RM : Mais comment soutenir à la fois Carole Delga, qui juge l’exécutif trop “vertical”, et en même temps, soutenir ce même exécutif ?
Renaud Muselier : Entant que président délégué de Régions de France, je suis aux côtés de la présidente Delga, que je soutiens avec loyauté. Mais je reste aussi loyal au mandat que les lecteurs m’ont confié. Je soutiens le président de la République dans la mesure où j’ai trouvé un mode de fonctionnement qui sert la Région, qui démultiplie toutes les initiatives que nous pouvons prendre.
Qu’il s’agisse du plan France 2030 ou du CPER (Ndlr : Contrat de plan Etat-Région), je capitalise sur la totalité des décisions nationales. Je travaille main dans la main avec un préfet de Région très performant. Comme j’ai compris qu’on n’irait pas plus loin dans la décentralisation, je fais de l’expérimentation, et la Région bénéficie de toutes les retombées. Cela prend beaucoup de temps, mais c’est efficace. Et cela me permet d’être loyal dans les deux cas.
RM : Sur le plan des transports ferroviaires, après un long combat, vous avez fini par signer un accord avec la SNCF, mais, dans le cadre de l’ouverture à la concurrence, la Région Sud a été la première à attribuer l’exploitation d’une ligne de TER à Transdev. Quel bilan faites-vous de tout cela aujourd’hui ?
Renaud Muselier : Un bilan extraordinairement positif ! Au départ, c’était un pari risqué, mais contrairement à certains de mes collègues présidents de Région, je n’avais pas le choix : nous avions le plus mauvais réseau ferré français ! Nous avions le plus de trains en panne, en retard, en grève. Un train sur 10 était annulé, un sur quatre était en retard…
Cinq ans après, nous sommes passé à moins de 2 % de trains annulés, et à un taux de régularité qui atteint les 94 %, avec des pénalités systématiques en cas de retard. Cela a été un rude combat : quand j’ai refusé de payer ses factures, la SNCF m’a attaqué en justice. J’ai gagné, et ensuite la SNCF a fait des efforts énormissimes pour ne pas perdre l’ensemble des marchés ouverts à la concurrence. Elle a donc gardé 60 % de l’exploitation du réseau, Transdev en a 40 %, et dès juillet 2015 le nombre de trains sera doublé, pour un coût équivalent pour le voyageur, qui est le grand gagnant.
RM : Sur le plan environnemental, la Région a lancé son programme “Une COP d’avance” qui a débouché sur 141 mesures concrètes et immédiatement applicables. Quelles sont les trois plus emblématiques à vos yeux ?
Renaud Muselier : D’abord, le budget que nous venons de voter est passé de 20 % de mesures liées à l’environnement, à 100 % ! C’est le premier budget vert d’Europe. Cela représente trente milliards d’euros injectés au cours de la mandature. Et cela concerne jusqu’au plus petit village.
Je prends un exemple : je suis maire d’une petite commune qui souhaite refaire sa place principale. Si le projet est entièrement minéral, la Région ne le soutient pas. Si le projet est étiqueté “COP d’avance”, si la place est arborée, avec des lampadaires à énergie photovoltaïque, la Région prend entre 20 et 70 % de la dépense à son compte… Croyez-moi, les maires l’ont bien compris, et cela permet un effet levier formidable.
Mais la Région ne peut pas tout faire seule. Vous parlez de trois mesures. Prenez le plan “Planter cinq millions d’arbres”, soit un par habitant pendant la mandature. Nous en sommes déjà à 2 millions. Mais je ne peux pas en planter partout, j’ai besoin du relais des maires. Même chose pour le plan “10.000 km de pistes cyclables” : nous pouvons subventionner, mais pas faire les travaux à la place des communes. Ou encore le plan “Escale zéro fumée”, qui a fait école de Marseille à Toulon et Nice, puis dans des ports d’autres régions : il faut que tous les acteurs concernés s’impliquent pour que ça marche.
Propos recueillis par Philippe Martin