« La réforme du lycée n’a pas été assez concertée »
François Bonneau, président de la Commission formation à Régions de France, reconnaît toutefois certaines avancées dans le dialogue Etat-Régions. Mais des progrès restent à faire.
Dans une région qui vote plutôt à droite, le président sortant du Centre-Val de Loire avait fort à faire lors des dernières élections régionales face au LR Nicolas Forissier, au RN Aleksandar Nikolic et au ministre LREM Marc Fesneau. Pourtant, le socialiste François Bonneau est arrivé en tête au premier tour en juin dernier, et a été réélu avec 39 % des voix et 17 points d’avance sur son premier challenger. La sanction positive d’une gestion rigoureuse, et d’une action de tous les instants pour relancer l’économie de ses territoires ou lutter contre les déserts médicaux.
Mais le combat majeur de l’ancien chef d’établissement, qui a aussi enseigné une dizaine d’années en zone d’éducation prioritaire, reste la formation. A Régions de France, il préside toujours la commission en charge de ces dossiers. Sur lesquels il a fait le point pour Régions Magazine.

Régions Magazine : En 2021, les Régions ont consacré 7,2 milliards d’euros aux lycées et aux lycéens, soit plus de 16 % de leur budget. Mais elles ont “subi” la réforme du lycée impulsée par le gouvernement. Trouvez-vous qu’elles ont été suffisamment consultées ? Et quel premier bilan tirez-vous de cette réforme ?
François Bonneau : Il est clair qu’au fil des années, et des réformes, les Régions voient leurs compétences en matière d’éducation se renforcer, y compris sur le plan pédagogique. On ne construit pas les mêmes locaux dans un lycée qui fonctionne avec des classes de 35 élèves, et dans un autre qui applique une pédagogie en groupes autonomes. Les Régions interviennent dans les Centres de documentation, dans la préparation à l’accès à l’enseignement supérieur, dans la numérisation des établissements, dans le renouvellement des manuels. Qu’elles financent d’ailleurs en tout ou en partie, accordant dans la plupart de cas la gratuité aux élèves.
S’appuyant sur leurs compétences dans le développement économique, elles ont également créé des commissions permettant aux acteurs du monde de l’entreprise de préciser leurs besoins de demain, afin de les mettre en adéquation avec certaines filières d’enseignement.
Dans ces conditions, il aurait été plus qu’utile d’associer les Régions à la réflexion sur la réforme du lycée. Cela n’a pas été le cas : au contraire cette réforme n’a pas été coconstruite, n’a pas été concertée en amont. En revanche, suite à nos demandes réitérées, nous sommes bien informés de sa mise en œuvre par la commission de suivi qu’a créée le Ministère.
Ce manque de concertation, on le retrouve dans la réforme de l’enseignement des mathématiques, que l’on a voulu réduire à sa plus simple expression, voire supprimer complétement dans certaines filières. Nous n’avons jamais eu autant besoin d’ingénieurs, de techniciens, de spécialistes du numérique, et l’on réduit l’enseignement des maths comme une peau de chagrin !
Donc si nous n’avons pas une vision “au vitriol” de cette réforme, nous affirmons que davantage de concertation aurait été souhaitable.
J’ajoute un dernier point financier : la situation sanitaire nous a contraints à des acquisitions massives de matériel en 2020, qui ont pu être placées dans nos dépenses d’investissement. Mais nous nous sommes fait “retoquer” en 2021, où l’Etat nous a contraints à replacer ces dépenses dans la section fonctionnement, une décision très négative sur nos budgets.
RM : En mai 2019, l’Etat et les Régions sont signé un accord-cadre confiant aux Régions l’information sur l’orientation destinée aux élèves des lycées. Quelle a été l’action des Régions depuis ?
FB : Nous sommes ici dans l’esprit et dans les modalités de la décentralisation, variée et diversifiée : chaque Région a mis en place un dispositif de son choix, et l’a fait en étroite concertation avec les acteurs historiques de l’orientation comme l’ONISEP ou les CIO.
Des moyens supplémentaires ont ainsi pu être alloués à ce qui constitue un maillon faible de notre système éducatif : les Régions ont créé des structures mobiles telles les “Orientibus”, ont développé les horaires consacrés à l’orientation afin de les rendre plus accessibles par les élèves, ont invité des jeunes à venir raconter leurs premières expériences professionnelles nées de leurs choix, ont fait venir dans les lycées des représentants d’entreprises venus exprimer leurs besoins. Même si ces dernières initiatives ont évidemment été freinées à cause du Covid.
Les Régions ont lancé des Salons, des Forums, ont réalisé des échanges fructueux entre elles, ont mis en place des “ambassadeurs de métier” en ciblant particulièrement les classes de 3ème et de Terminale, qui sont des paliers importants d’orientation : franchement ça bouillonne partout, ça bouge pas mal !
Si je prends le cas du Centre-Val de Loire, douze professionnels, deux par département, ont été intégrés dans le processus d’orientation des lycées. Et l’étape suivante, c’est de sensibiliser les enseignants aux réalités du monde économique. A ce titre, il faut souligner une démarche exemplaire : le 18 novembre, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer et la présidente de Régions de France Carole Delga ont envoyé ensemble une lettre co-signée à tous les chefs d’établissement, pour les inciter à aller dans ce sens. C’est là un signal fort, qui sera complété par le Livre Blanc de l’Orientation sur lequel nous sommes en train de travailler.
RM : Comment les nouvelles Agences régionales de l’orientation fonctionnent-elles ?
FB : Plusieurs Régions, comme Nouvelle-Aquitaine, Auvergne-Rhône-Alpes, Normandie, ont en effet créé leur propre agence. La plupart des autres gèrent l’orientation “en direct”. J’ai envie de dire : peu importe le mode de portage, ce qui est important c’est de créer cette interface avec le monde économique, qui nous a fait défaut jusqu’à présent. Et qui fait que beaucoup de jeunes recourent à des structures privées pour les aider dans leur choix, alors que l’orientation relève d’une mission de service public.