La guerre de l’eau est déclarée
Les sept “comités de bassin” se sont réunis pour évoquer les solutions à mettre en place face au changements climatiques et aux pénuries d’eau. Décryptage.
Lorsqu’ils ont programmé une réunion inédite, le 9 novembre à Paris, les sept comités de bassin de l’hexagone étaient loin de se douter à quel point l’actualité allait les rattraper. Entre la canicule, les terribles incendies de l’été et les manifestations des écologistes contre les “bassines” agricoles dans les Deux-Sèvres, l’eau et surtout le manque d’eau sont en train de devenir des sujets récurrents dans notre pays.
A cet égard, les sept comités de bassin représentent une véritable force de frappe vis-à-vis de ces difficultés actuelles et à venir (lire en encadré). Encore faut-il leur donner les moyens d’agir avec le maximum d’efficacité, dans toute une série de domaines qui concernent de près ou de loin l’alimentation en eau de notre pays. Ce que s’est engagée à faire la secrétaire d’Etat chargée de l’Ecologie Bérangère Couillard, présente lors de cette “rencontre au sommet”. « Les chantiers de l’eau, mais aussi des forêts, constituent deux priorités pour le gouvernement, et la Première ministre Elisabeth Borne présentera dès le début de l’année prochaine le premier volet de la “planification écologique territoriale”. D’ici là, nous continuerons à nous appuyer sur les comités de bassin, qui constituent des outils exceptionnels. Il n’y a pas, il ne peut y avoir de guerre de l’eau en France », affirmé la ministre.
Pourtant, selon nombre d’observateurs et d’acteurs, cette guerre de l’eau est déjà déclarée. Comme le rappelle Alain Rousset, président du comité de bassin Adour-Garonne mais aussi de la Nouvelle-Aquitaine, « dans ma région, 38 % des rivières étaient totalement à sec cet été », sans même évoquer les incendies qui ont ravagé les forêts de son territoire tout au long de l’été.
D’ici 2050, les experts du climat estiment que les grands fleuves français pourraient perdre jusqu’à 40 % de leur débit.
Au demeurant, c’est toute la France qui est frappée du même mal, bien au-delà de l’été. Fin octobre, 78 départements étaient encore concernés par une restriction des usages de l’eau, au-delà de la vigilance, et 38 étaient classés “en crise”. D’ici 2050, les experts du climat estiment que les grands fleuves français pourraient perdre jusqu’à 40 % de leur débit d’étiage, et la recharge des nappes phréatiques par la pluie pourrait diminuer de 30 %.
Comme l’affirme Martial Saddier, président du comité de bassin Rhône-Méditerranée, « en plus des économies, il faudra faire du stockage, y compris pour l’eau potable ». Pas question pour autant d’empêcher les agriculteurs de mettre en place leurs fameuses “bassines”, mais à une condition : « qu’ils baissent de 50 % leur utilisation des pesticides et d’intrants, un chemin qu’ils n’ont pas validé jusqu’à présent ».

Face à ces phénomènes, le gouvernement a pris les devants en augmentant le plafond de dépenses des Agences de l’eau, de 100 M€ pour 2022. Et il a saisi les comités de bassin pour mettre en place avec eux une véritable planification écologique. Un certain nombre de mesures sont connues et déjà en partie mises en place : économies d’eau, réutilisation des eaux usées traitées, restauration des rivières et des zones humides, désimperméabilisation des sols. Mais il faut à présent passer la vitesse supérieure.
Cette rencontre au sommet a permis de dégager les principales pistes de travail. Accompagner la transition vers une agriculture plus sobre en eau, avec la mise en œuvre de solutions techniques comme le pilotage de l’irrigation, le choix plus systématique de cultures économes en eau, la limitation de l’assèchement des sols en replantant des haies…
Il s’agit aussi de mieux organiser le partage de l’eau, via les PTGE (projets de territoire pour la gestion de l’eau), afin de garantir un équilibre entre les différents usages (eau potable, irrigation, industrie), tâche prioritaire pour les Agences de l’eau. Pour Bérangère Couillard, « quand un PTGE est généralisé et partagé, un ouvrage comme une “bassine” peut être déployé sur des critères exigeants, respectés par les agriculteurs ».
Il s’agit enfin de rendre les espaces urbains résilients, en évitant de continuer à imperméabiliser les sols, et au contraire en végétalisant davantage les villes, afin de lutter contre les ilots de chaleur l’été, en sachant que chaque année 30.000 hectares sont encore artificialisés en France. De créer des “jardins de pluie”, voire de réhabiliter la présence de rivières en ville.
Comme on le voit, la tâche est immense, elle relève de l’aménagement du territoire au sens le plus noble du terme. Au demeurant, on peut se demander si les Régions ne constitueraient pas l’échelon idéal pour organiser et encadrer cette planification. « Les comités de bassin jouent parfaitement ce rôle, pour peu qu’on leur en donne les moyens, affirme Thierry Burlot, président du comité Loire-Bretagne. Qui complète aussitôt : « mais bien entendu, il faut que les stratégies mises en place coïncident avec les politiques régionales, avec ce que mettent en place les conseils régionaux. Il faut que tout le monde se parle ». Et vite, car l’enjeu est capital.
Philippe Martin
Sept comités de bassin en métropole
Véritables “Parlements de l’eau”, les comités de bassin sont formés à 40 % d’élus des collectivités territoriales, à 20 % d’usagers non-professionnels de l’eau (pêcheurs, consommateurs, associations de défense de l’environnement), à 20 % d’usagers professionnels (agriculteurs, industriels) et à 20 % de représentants de l’Etat. Leurs membres, nommés pour six ans, débattent des grands axes de la politique de gestion des ressources en eau, et de la protection des milieux naturels aquatiques. La France métropolitaine compte sept comités de bassin, dont les découpages ne correspondent pas à ceux des Régions : Adour-Garonne, Artois-Picardie, Bassin de Corse, Loire-Bretagne, Rhin-Meuse, Rhône-Méditerranée, et Seine-Normandie.
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