Jacques Auxiette ou le discours de la méthode
Disparition – L’ancien président de la Région Pays de la Loire est décédé à l’âge de 81 ans. Hommage.
Son mélange de rigueur, d’honnêteté et de bonhomie souriante sont encore dans les mémoires de tous ceux qui l’ont côtoyé. Respecté de tous, y compris de ses adversaires politiques, Jacques Auxiette, ancien maire de La-Roche-sur-Yon et ancien président socialiste de la Région des Pays de la Loire (de 2004 à 2015), s’est éteint le 10 décembre des suites d’une complication post-opératoire, à l’âge de 81 ans.
Christelle Morançais, l’actuelle présidente de la Région, lui a immédiatement rendu hommage : « Je veux rendre un hommage appuyé à Jacques Auxiette. Son engagement, son intelligence et sa passion des Pays de la Loire en firent un président estimé et respecté, bien au-delà de son camp politique ».
Pour leur part, les présidents de Région ont signé un texte commun : « Les présidentes et présidents des régions de France tiennent à rendre hommage à Jacques Auxiette, ancien président des Pays de la Loire. Homme de terrain, homme d’action, serviteur inlassable de l’intérêt général, il s’est aussi beaucoup battu pour les régions. Nous lui devons la réforme ferroviaire de 2014, et au-delà, il a su imposer et incarner la crédibilité des régions dans le pilotage des politiques de mobilité. »
En septembre 2013, à l’occasion d’un supplément que Régions Magazine consacrait à la Région Pays de la Loire, Jacques Auxiette avait accordé un long entretien à notre revue. En hommage, nous en publions ici les principaux passages. On verra que non seulement son discours n’a pas pris une ride, mais qu’il était également très en avance dans de nombreux domaines.
Jacques Auxiette aime bien prendre le temps d’expliquer les choses. A l’écouter promouvoir la stratégie de la région Pays de la Loire, qu’il préside depuis bientôt dix ans, on se dit qu’on aurait bien aimé avoir un prof de maths aussi pédagogue que lui, celui qu’il était dès 1964 à La Roche-sur-Yon. Ou un proviseur aussi ouvert que celui du lycée Mendès-France, poste qu’il occupa, toujours à La Roche-sur-Yon, jusqu’en 1998.
Dans l’histoire de sa région, Jacques Auxiette restera comme le tombeur de François Fillon, aux élections régionales de 2004. Et comme un des présidents de région les mieux réélus de France en 2008. Ce mandat, dont il a depuis longtemps annoncé qu’il serait son dernier, il a pu le consacrer à travailler en profondeur les thèmes qui lui sont chers. Les transports, bien sûr, dont il est un des spécialistes français les plus reconnus. La transition énergétique, dans laquelle les Pays de la Loire se sont fortement impliqués. Mais aussi le développement économique. Sur toutes ces questions, et sur quelques autres, à l’heure où Nantes accueille les représentants de toutes les régions de France, il effectue un vaste tour d’horizon pour les lecteurs de Régions Magazine.

Régions Magazine : Avec 300.000 emplois directs, la région Pays de la Loire est aujourd’hui la troisième région industrielle de France. Sur quoi se fonde cette réussite ? Quels sont les atouts de l’industrie ligérienne ?
Jacques Auxiette : il faut être modeste : nous nous appuyons d’abord sur une réalité historique. Notre industrie est empreinte d’une forte tradition entrepreneuriale. Je pense à la Navale à Nantes et Saint-Nazaire, à l’aéronautique, à l’agro-alimentaire. Il se trouve qu’en plus, ce sont des secteurs « qui marchent », malgré les crises successives.
Ensuite, nous disposons d’un deuxième atout : la capacité des acteurs régionaux, sur la base d’un projet d’où qu’il vienne, de pouvoir rassembler les intelligences et les moyens pour qu’il devienne réalité. L’institution régionale joue ce rôle, mais elle n’est pas seule. Nous travaillons non dans la concertation, mais dans la « co-construction ».
RM : un exemple ?
JA : prenez celui de l’internationalisation de nos entreprises. Elle s’est construite autour de la CCIR, des agences de développement, et des collectivités locales. Nous avons joué notre rôle de chef de file dans la mise en œuvre, mais surtout pas de chef. C’est ce que j’aime appeler, le succès de l'”équipe Pays de la Loire” depuis neuf ans, dans laquelle notre rôle est de fédérer.
C’est la même chose sur la transition énergétique, sur la biodiversité…
Vous voulez d’autres exemples ? Prenez le cas d’Airbus. Quand les directeurs des deux usines sont venus me trouver en 2005 pour attirer mon attention sur la dimension capitale des matériaux composites dans la construction aéronautique, et sur l’urgence majeure que cela représentait dans la compétition internationale, nous nous sommes mobilisés. Et cela a débouché sur la création du Technocampus Emc², et maintenant de l’Institut de Recherche Technologique (IRT) Jules Verne qui est un outil formidable. Nous avons réussi à faire travailler ensemble les grandes écoles, l’université, le CETIM, les grands donneurs d’ordre parmi lesquels Airbus et les sous-traitants : tout ce qui s’est fait autour de l’A 350 est parti de là.
RM : n’avez-vous pas essayé de décliner cette façon de travailler à d’autres secteurs ?
JA : si, bien sûr, cette méthode doit faire des petits.
Nous avons cherché à la dupliquer sur l’agro-alimentaire, en réunissant là aussi tous les acteurs de la filière, traitant de la santé animale et humaine, de l’alimentation, aujourd’hui de la biodiversité. Nous disposons désormais d’une pépinière de chercheurs unique en Europe. On pourrait aussi parler de l’électronique sur Angers, de la médecine nucléaire, de la biothérapie : dès 2004 nous avons financé un cyclotron, c’est quand même un équipement qui coûte environ 50 M€…
RM : pouvez-vous expliquer la démarche du “plan régional d’internationalisation des entreprises ” ?
JA : L’État, comme les Régions, souhaitent évidemment améliorer notre balance commerciale, c’est-à-dire accroitre les exportations de nos entreprises à l’étranger. Le plan régional d’internationalisation des entreprises a comme objectif de structurer et fédérer tous les acteurs de l’export. Il faut saluer le travail de la Chambre de Commerce et d’Industrie Régionale dans ce domaine. Depuis une quinzaine d’années, elle a fédéré dans chaque département -bien avant la réforme consulaire- la dimension de l’export. La région a accompagné cette démarche, et depuis 2005 nous sommes entrés dans une relation conventionnelle avec les chambres de commerce, par exemple en finançant les VIE (Volontaires internationaux en entreprise), dont nous payons l’indemnité pendant un an, en participant au financement de Salons à l’étranger, etc.
Aujourd’hui nous allons beaucoup plus loin : tout ce qui relève de la relation directe d’une entreprise avec l’international est suivi par un « hub technique », mis en place par la Région et confié de façon opérationnelle à la CCI international. Un « hub stratégique » constitue le second volet et réussit à faire travailler ensemble toutes les collectivités, région, départements, grandes agglomérations, et tous les opérateurs dans une logique de filière. Nous sommes par exemple en train de nous appuyer sur les relations très anciennes entre Nantes et le Japon, pour lancer une démarche fédérative conduite par la métropole, capitale régionale, et qui va mobiliser plus de 500 développeurs afin d’identifier tout ce qui en Région Pays de la Loire peut concerner des partenaires japonais.
RM : le projet de port Nantes-Saint-Nazaire repose-t-il sur la même logique ?
JA : tout-à-fait, je prendrai comme exemple notre coopération avec le port de Qindao en Chine, le cinquième port du monde, avec lequel nous travaillons pour améliorer ce qui constituait un des points faibles de notre infrastructure portuaire, à savoir la capacité à accueillir des porte-conteneurs.
RM : pouvez-vous citer trois réalisations dont vous êtes particulièrement fier depuis votre élection à la présidence ?
JA : je l’ai déjà dit, mais j’y tiens particulièrement, tout ce qui s’est construit autour du matériau composite, le Technocampus Emc², l’IRT. C’est une réussite dont on peut être fiers, je crois.
Ensuite, d’avoir considéré que l’ouverture internationale de notre région était une nécessité, en créant des antennes de la région en Chine, en Inde, récemment au Burundi, en Tunisie, pays avec lequel nous entretenons des rapports très étroits (NDLR : voir notre encadré), demain au Brésil, au Mexique… Désormais, je crois que l’on peut dire que la région s’est approprié la réalité de la mondialisation. Avec des conséquences parfois surprenantes.
Je vous livre deux anecdotes : des Chinois, qui n’avaient jamais fait d’équitation, sont venus se former au Cadre Noir de Saumur, et ont fini par décrocher une médaille aux Jeux Asiatiques ! Dans la foulée, des professeurs chinois sont venus aux Sables-d’Olonne voir comment nous formons au nautisme et à la maintenance des bateaux, ce qui n’existe pas en Chine… Cela fait aussi des années que les élèves du lycée hôtelier Olivier Guichard de Guérande se forment dans les grands hôtels de Chine…
Une troisième réalisation ? Je dirais la gérontopole lancée sur une initiative d’un professeur de médecine du CHU Nantes, qui nous permet d’avancer sur la prise en compte du vieillissement de la population, mais aussi sur ce qu’on appelle la “silver economy”, l’économie de la longévité, un enjeu majeur pour les années à venir.
RM : vous affichez des objectifs très ambitieux en matière de transition énergétique, dépassant même les normes fixées par les gouvernements successifs. Alors que cette politique subit divers soubresauts, cela vous semble-t-il encore réalisable ?
JA : oui, plus que jamais, ainsi que le démontre le scénario de transition énergétique que nous avons envoyé au ministère début juillet. Nous avons un objectif précis et chiffré, à l’horizon 2050 : celui de produire suffisamment d’énergies renouvelables à cette date pour couvrir notre consommation. Nous disposons d’atouts considérables, dont les énergies marines renouvelables, l’hydrogène, les microalgues, etc.
Après, cela repose sur une politique offensive, en matière de transports, d’isolation thermique des bâtiments (déjà 5000 aides de la Région distribuées à des particuliers). Un effort considérable est accompli sur les bâtiments publics, avec dès la prochaine rentrée l’inauguration de deux lycées à énergie positive au Pornic et à Clisson. Il nous faut maintenant renforcer le travail commencé avec l’agriculture, qui reste une (trop) grosse source de gaz à effet de serre. Mais croyez-le bien, si toutes ces politiques sont développées à la fois, notre ambition ne relève pas de l’utopie. Elle est d’ailleurs partagée par les 300 acteurs régionaux qui ont travaillé avec nous, près de 50 heures, pour la construction de ce scénario.
RM : pouvez-vous citer trois échecs, ou en tout cas trois déceptions, des projets que vous n’avez pu mener à bien ?
JA : bien sûr, il y en a quand même… La principale déception, c’est de n’avoir pas réussi à coordonner les politiques contractuelles que la Région développe avec tous les autres territoires, avec celles que développent de leur côté les départements. Si nous travaillons parfaitement avec les métropoles, les villes, les communautés de communes, nous n’avons jamais réussi à monter un seul dossier significatif avec les départements. Et en plus, ce n’est pas seulement pour des raisons politiques, mais purement de fonctionnement institutionnel.
Dans le même ordre d’idées, c’est de n’avoir pas réussi à unir les pôles universitaires que sont Nantes, Angers et Le Mans, pour créer une véritable université fédérale, et du même coup, de ne pas avoir su nous positionner aux côtés de la Bretagne pour atteindre une masse critique, qui nous aurait permis de bénéficier des aides de l’État. Et pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé.
Enfin, je ne peux oublier que nous sommes la région “Pays de la Loire”, mais si la rivière y coule, cela ne nous a pas permis de fédérer les nombreuses institutions qui travaillent sur le fleuve. Et ce qu’elles émanent des collectivités ou de l’État. Chacun continue à travailler dans son coin, sur une même thématique, et c’est préjudiciable pour tout le monde.
Propos recueillis par Philippe Martin
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