Corse : Le grand chantier de la collectivité unique
La fusion programmée pour le 1er janvier 2018, ce n’est pas seulement la disparition des deux conseils départements corses. C’est aussi une autre façon d’administrer l’île qui va devoir se mettre en place. Décryptage.
La loi NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la République), entrée en vigueur le 7 août 2015, prévoit la création de la Collectivité de Corse au 1er janvier 2018, résultat de la fusion entre l’actuelle CTC et les deux départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud (lire les modalités techniques en encadré). Ces dernières années, le paysage institutionnel de la France a été marqué par des fusions de différents types : celles qui ont concerné deux ou trois Régions (comme Grand Est avec l’Alsace, la Lorraine et la Champagne-Ardenne) ; celle qui ont vu fusionner une métropole et un conseil général (Lyon et le département du Rhône).
La “fusion” la plus proche de celle qui va concerner la Corse, c’est toutefois celle de la CTM, collectivité territoriale de Martinique, où Région et département ne font désormais plus qu’un (à lire dans le supplément Martinique de Régions Magazine paru en avril). Mais en Corse, où l’on ne fait jamais les choses à moitié, l’exercice s’annonce encore plus périlleux. D’abord on réunit non deux, mais trois collectivités, en additionnant leurs compétences, leur agents, et d’une certaine façon les élus. Ensuite, contrairement à la Martinique où l’essentiel des pouvoirs publics est concentré à Fort-de-France, il en va tout autrement en Corse, territoire polycentré où les déplacements sont, de surcroît, bien difficiles : quelle que soit la loi en vigueur, il faut toujours trois heures pour se rendre d’Ajaccio à Bastia
Enfin, cerise sur le gâteau, le calendrier est plus que serré, puisque l’essentiel doit être prêt dans six mois, avec en prime une échéance électorale en décembre !
C’est pourquoi la mission de préfiguration qui a été confiée à Jean-Louis Santoni, ancien directeur général des services de la ville de Bastia, est à la fois délicate et capitale. On va le voir, c’est bien d’un parcours du combattant qu’il s’agit.
Pourtant, le secrétaire général en charge de cette mission l’affirme d’emblée : “il n’y a pas, au sein de la CTC, la moindre difficulté sur le plan humain face au chantier qui nous attend. J’anime une cellule très resserrée qui est en charge de responsabiliser les cadres des collectivités au changement en cours, et nous sommes garants de la méthodologie de projet, du respect du calendrier, des arbitrages à rendre.”
Toutefois, sur le plan de la construction juridique de la nouvelle entité, les choses ne sont pas simples : on ne fusionne pas seulement trois collectivités, mais aussi leurs offices et agences, sans parler des “satellites”, SEM, syndicats mixtes : une cinquantaine vont ainsi changer de statut ! Un syndicat qui était jusqu’ici mixte parce qu’il réunissait des représentants de la CTC et d’un des départements ne sera évidemment plus mixte… et donc il faut tout reprendre à zéro.
Trois systèmes budgétaires différents
Ce sont aussi trois systèmes budgétaires complètement différents, avec leurs propres logiciels, qui vont devoir fusionner. Sans parler de toutes les questions qui relèvent de l’organisation et du droit du travail : statut des agents, régime indemnitaire, gestion du temps de travail et des RTT : inutile de dire que, d’une collectivité à l’autre, les pratiques et les régimes sont très différents…
“Il nous a donc fallu nous assurer du concours des cadres des collectivités, et nouer un dialogue de qualité avec les représentants syndicaux, poursuit Jean-Louis Santoni. Nous avons donc créé onze groupes de travail, qui ont eux-mêmes généré quarante sous-groupes réunissant plus de 200 cadres des trois collectivités, lesquels ont ouvert une grosse centaine de chantiers ! Tout ce monde se réunit régulièrement, travaille ensemble, produit des rapports mensuels qui nous permettent d’évaluer l’avancée des travaux. Nous avons aussi mis en place un plan de formation pour les cadres des trois entités, portant sur les méthodes de management, sur la méthodologie de projets, sur les valeurs à partager, de manière à jeter les bases d’une culture commune. Parallèlement, nous avons lancé un audit des directions. Il faut faire passer le message suivant : nous allons devoir révolutionner notre façon de travailler, à la fois dans la transversalité et la bienveillance. Sinon, nous ne nous en sortirons pas.”
C’est que dès le 1er janvier, un certain nombre de tâches vont devoir immédiatement être réalisées par la nouvelle collectivité, à commencer par les paiements de tous ordres : le salaire des agents, les factures aux entreprises, le versement des droits sociaux comme le RSA. Le tout dans une démarche de continuité du service public, mais aussi d’évolution permanente, à la fois en ce qui concerne les missions de chacun, mais aussi le rapport aux territoires.
La disparition des départements va en effet enlever du paysage institutionnel de l’île un échelon de proximité historique. Les communes, et surtout les intercommunalités, vont avoir un rôle essentiel à jouer, en lien avec la nouvelle collectivité de Corse, pour que le lien avec les habitants ne soit pas rompu. “Mais elles ne sont pas forcément équipées pour faire de l’ingénierie de projets, par exemple pour répondre à un appel à projets afin d’obtenir des fonds européens : nous allons donc devoir travailler avec elles pour les aider à monter ces projets”.
“La première année, ça va être l’enfer !”
Le mode de fonctionnement pratique et quotidien va également changer. Il n’y aura pas de mobilité géographique forcée pour les agents, même si l’on peut penser que des volontaires se révèleront afin de faire évoluer leur carrière. En revanche, si le siège de la CdC restera à Ajaccio, elle disposera de 1.400 agents… à Bastia. “Les directeurs qui travaillent à Ajaccio vont devoir immédiatement intégrer Bastia dans leur plan de déplacements. Il y a un esprit de confort qu’il va falloir faire évoluer, très vite”.
Pari d’autant plus difficile que les trois collectivités concernées ne travaillent pas forcément ensemble sur le projet (les deux départements ont aussi leur propre mission de préfiguration) et que l’échéance électorale de décembre, où certains des présidents risquent de se retrouver en concurrence, ne contribue guère à mettre de l’huile dans les rouages. “Nous venons néanmoins de parvenir à faire signer une lettre commune aux quatre présidents (la CTC, l’Assemblée de Corse et les deux départements) à l’intention de tous les agents, se réjouit Jean-Louis Santoni, qui conclut toutefois : “il va falloir rester calme et serein, face à la complexité. Mais ne nous faisons pas d’illusions : la première année, ce sera l’enfer !”
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