“Cette région me surprend tous les jours…”
Pour Régions Magazine, Loïg Chesnais-Girard, président de la Région Bretagne, fait le bilan de ses deux premières années de mandat, et dévoile ses projets.
Au congrès de Régions de France, le 1er octobre dernier à Bordeaux, le discours d’Edouard Philippe n’est pas bien passé. “Je suis en colère”, a lancé, blême, le président de la Région Bretagne Loïg Chesnais-Girard lors de la conférence de presse qui a suivi la prestation diversement appréciée du Premier ministre. Une première pour cet élu courtois, calme et souriant, que certains jugent parfois un peu lisse, ce qui est sans doute bien mal le connaître. Pour Régions Magazine, Loïg Chesnais-Girard est revenu sur les raisons de cette colère, mais aussi sur les ambitions qu’il porte pour cette Bretagne qu’il aime tant.
Régions Magazine : Au congrès de Régions de France, vous avez exprimé un sentiment de “colère”, notamment après l’annonce par Édouard Philippe que l’État allait reprendre une part de la gestion des aides européennes. Pourquoi ?
Loïg Chesnais-Girard : Nous avons, au cours des dernières années, réalisé en Bretagne un énorme travail pour transformer notre modèle agricole. Nous avons mis de gros moyens sur l’agroécologie en nous appuyant sur les fonds européens et en mettant le reste de notre poche. Aujourd’hui, plus de 5.000 agriculteurs nous accompagnent dans cette démarche, je crois que l’on peut parler d’une belle réussite.
Lors de son discours prononcé à Saint-Brieuc, le président de la République a lancé : “bravo la Bretagne, vous avez inventé un beau modèle qu’il faut suivre”. Et puis avant l’été, on entend monter au sein du gouvernement un discours tout différent, selon lequel c’est l’Etat qui doit reprendre en mains la répartition des fonds, pour respecter l’égalité républicaine entre les territoires, pour que les versements soient plus rapides, plus efficaces, plus performants. Alors que tous les observateurs savent que les problèmes de paiement viennent de l’Etat et de ses logiciels mal adaptés !
Nous montons alors au créneau, avec d’autres Régions concernées comme la Normandie et la Nouvelle-Aquitaine. Nous avons l’impression d’avoir été entendus, et patatras, en septembre nouveau retour en arrière, confirmé par le Premier ministre au congrès des Régions. Alors oui, j’étais en colère, et aujourd’hui encore je suis très agacé.
“Nos agriculteurs ont dû affronter les crises les plus dures, à chaque fois ils ont su rebondir. Mais il nous faut les y aider, et aussi que l’Etat ne nous mette pas des bâtons dans les roues.”
RM : Pourquoi ce revirement, à votre avis ?
LCG : On a l’impression que les gros syndicats agricoles décident pour le gouvernement et le ministre de l’Agriculture. Alors qu’ici, en Bretagne, je travaille bien avec la FNSEA. Disons que la FNSEA peut faire pression sur un ministre, mais que c’est plus compliqué avec treize présidents de Région…
RM : Pour rester sur l’agriculture, où en sont les principaux axes de votre programme ? Et le plan Bretagne, leader du bien-manger ?
LCG : La qualité de la nourriture est un des sujets les plus importants aujourd’hui. En Bretagne, nous avons choisi de nous positionner comme les leaders du bien-manger pour tous. Je dis bien : pour le maximum de gens. Compte tenu de la structure de notre agriculture, on aurait pu faire “très bien, mais pour peu de gens”… Il faut savoir que nous produisons ici des aliments pour 20 millions de consommateurs, alors que nous ne sommes que 3,5 millions !
De plus nous avons subi ici toutes les crises les plus dures : les algues vertes, la vache folle, la peste porcine, la grippe du poulet… A chaque fois nos agriculteurs ont fait face, ont su rebondir, ont trouvé de nouveaux modèles, plus performants, plus acceptables pour notre environnement. Leur mission recouvre de surcroît un enjeu écologique important : le stockage du carbone, la production d’énergie par la biomasse ou les panneaux solaires…
Il nous faut donc les aider à redonner un visage à notre agriculture, et nous nous y employons par un plan massif s’appuyant sur les fonds européens, un investissement de plus de 50 M€ qui monteraient à 500 M€ si nous récupérions l’ensemble de la PAC… Nous les aidons à travailler simultanément sur les techniques sans labour, sur le micro-arrosage, sur les produits alternatifs à la chimie, sur le désherbage mécanique permettant d’éviter les intrants… De grandes firmes agro-alimentaires bretonnes, comme D’Aucy, sont engagées dans ce combat : une agroécologie performante, et une autonomie alimentaire renforcée.
RM : Cela ne doit pas être simple, compte tenu des spécificités de l’agriculture bretonne…
LCG : C’est vrai que nous sommes davantage connus pour l’élevage intensif que pour les labels de qualité. Alors que nous avons ici de très beaux produits, de petites races locales, rustiques, anciennes, comme le mouton d’Ouessant, le cheval Breton, le coucou de Rennes (c’est une race de poules)… Alors que notre lait, nos volailles sont des produits à haute valeur ajoutée. Nos agriculteurs adhèrent à ce discours : une nouvelle agriculture, s’appuyant sur des circuits courts, avec un développement financé en partie par la Région Bretagne.
Mais notre agriculture, unique et diverse, à laquelle il faut évidemment ajouter la pêche, est aussi une agriculture rurale et pauvre. Il est inacceptable qu’une partie de nos agriculteurs vivent aujourd’hui avec moins de 800 euros par mois. J’ai été maire, je me suis rendu dans des familles à l’occasion de suicides d’agriculteurs, je peux vous dire que cela vous marque à vie.
Mais ce n’est pas l’image que j’ai de notre agriculture. Je vois aussi des jeunes qui veulent s’installer, en se regroupant, pour avoir une meilleure qualité de vie, pouvoir prendre des vacances. Je vois des agriculteurs heureux et fiers de leur métier, et qui en vivent correctement, qui le font avec des méthodes honorables. C’est cela que nous voulons développer. Et ce serait tellement mieux si l’Etat nous y aidait, au lieu de nous mettre des bâtons dans les roues…
“Notre choix de soutenir les filières émergentes porte ses fruits, et notre taux de chômage continue de baisser.”
RM : Sur le plan du développement économique, vous avez choisi de soutenir les filière bretonnes ou émergentes en vous appuyant notamment sur Bretagne Développement Innovation, et de renforcer l’attractivité économique de la Bretagne. Cette politique porte-t-elle ses fruits ?
LCG : BDI, c’est un outil qui accompagne notre stratégie, fondée sur les filières en développement, ou sur les thématiques nouvelles qui peuvent devenir des filières. Je pense aux énergies marines renouvelables, à la cybersécurité, aux smartgrids, aux dispositifs Usine du Futur sur l’agroalimentaire… sur chacun de ces thèmes, nous mettons à disposition des entreprises une petite équipe réactive, en charge de les accompagner.
Il nous faut aussi renforcer notre attractivité, à la fois en nous appuyant sur cette marque forte qu’est la Bretagne, mais aussi en la faisant varier un peu. En expliquant par exemple qu’on peut devenir ingénieur en technologie de pointe en pays bigouden et à la fois passionné de surf. Qu’on peut être acousticien spécialisé dans les sonars tout en faisant de la plongée sous-marine au large de Brest… Je pourrais vous citer le cas de plusieurs patrons qui avaient une maison en Bretagne et qui s’y trouvaient tellement bien qu’ils ont fini par venir y implanter leur entreprise…
RM : Et les résultats ?
LCG : Il y a un marqueur incontestable, c’est le taux de chômage. Nous étions en-dessous de la moyenne nationale il y a dix ans, et nous avons réussi à conserver cette place enviable. Nous devrions passer sous la barre des 7 % de demandeurs d’emploi cette année. Et les temps changent : j’ai été vice-président aux affaires économiques de la Région de 2010 à 2015, il ne se passait pas un mois sans une fermeture d’usine. Aujourd’hui, il ne se passe pas un mois sans une inauguration d’entreprise….
Ce matin j’étais à Saint-Aubin-du-Cormier, dans le pays de Fougères, pour inaugurer une entreprise spécialisée dans le fonctionnement de lignes de production pour l’industrie, des process qui seront exportés en Allemagne ou en Pologne. Il y a là une centaine de salariés, jeunes, de haut niveau, qui viennent s’y installer avec enthousiasme parce qu’ils savent qu’ils auront une vie agréable en Bretagne…
“ Il est clair que l’arbitrage rendu à Notre-Dame-des-Landes n’était pas compatible avec nos propres orientations.”
RM : Vous avez signé le 8 février avec le Premier ministre un Pacte d’accessibilité avec la Bretagne, ainsi qu’un contrat d’action publique. Tout cela est-il vraiment de nature à compenser l’abandon du projet d’aéroport Notre-Dame-des-Landes ?
LCG : Il est clair que l’arbitrage rendu à Notre-Dame-des-Landes n’était pas compatible avec nos propres orientations. Cet aéroport aurait permis le rapprochement entre Nantes et Rennes, en offrant aux habitants des deux régions des solutions de vols pour le reste de l’Europe. On ne peut que le regretter.
Le pacte d’accessibilité doit nous permettre de rejoindre Brest et Quimper depuis Paris en moins de trois heures au lieu de 3h45, c’est positif mais ce ne sera pas pour tout de suite… S’agissant des aéroports nous avons fermé Lannion. Brest se porte bien, nous gérons directement Quimper.
Il y a aussi la confirmation du plan de financement de la RN164 de Rennes à Châteaulin et son passage à deux fois deux voies, un projet vraiment très ancien puisqu’il a été lancé par le général de Gaulle ! Et puis, bien sûr, le chantier de la fibre, sur lequel, à travers Mégalis, nous avons investi 200 M€ supplémentaires pour atteindre le million de prises dans la deuxième phase.
Comment les choses évoluent-elles depuis ? Disons que cela suit son cours… L’Etat a libéré des espaces pour permettre l’agrandissement de l’aéroport de Rennes. Pour le ferroviaire on attend le lancement des études.
RM : A propos des trains, comment qualifieriez-vous vos relations avec la SNCF ? Vous faites partie des Régions les plus “réticentes” à l’ouverture à la concurrence pour les TER. Pourquoi ?
LCG : Pour une raison simple : c’est que nous sommes satisfaits des services de la SNCF. Nous avons plus de 98 % de trains qui arrivent à l’heure, avec un taux de régularité extraordinaire. Nous avons réalisé pendant quinze ans des investissements massifs sur le matériel roulant, et nous venons de signer avec l’opérateur public un nouveau contrat de dix ans qui doit encore améliorer la qualité du service, un contrat que nous suivons évidemment de très près.
Mais il nous faut encore faire l’acquisition de matériel, et rester mobilisés pour le maintien des petites lignes.
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