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Philippe Martin
03/07/2022
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David Lisnard a été élu maire de Cannes en avril 2014 (et réélu en mai 2020). II est président de l’Agglomération Cannes-Lérins depuis 2017, et vice-président du conseil départemental des Alpes-Maritimes. Il a succédé à François Baroin à la présidence de l’AMF (Association des maires de France) le 17 novembre dernier. Photo Ville de Cannes.

« Cannes continue de monter en gamme »

Pour le maire de Cannes David Lisnard, la ville poursuit sa mutation, notamment à travers une politique de grands travaux. Sans oublier pour autant les franges les plus défavorisées de sa population. Il s’est confié à Régions Magazine.

En moins de deux ans, David Lisnard a changé de statut. Ou de dimension. Sa carrière d’élu local, maire de Cannes, conseiller départemental des Bouches-du-Rhône, réputé pour la rigueur de sa gestion, sa politique de travaux pour améliorer le cadre de vie de ses concitoyens, et son goût pour leur sécurité, a peu à peu basculé. En particulier depuis son élection à la présidence de la puissante Association des maires de France, le 17 novembre dernier, au nez et à la barbe du candidat fortement poussé par l’Elysée, le maire de Sceaux Philippe Laurent, jugé davantage “macron-compatible”.

Un statut qui change aussi en raison de la recomposition politique qui se déploie actuellement en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Alors que nombre d’élus régionaux ou municipaux (Christian Estrosi, Renaud Muselier, Martine Vassal) se tournent vers une collaboration plus étroite avec le parti du président de la République, David Lisnard porte fièrement le flambeau de sa formation de toujours, Les Républicains, qui peine à se remettre de la cuisante défaite de sa candidate Valérie Pécresse à l’élection présidentielle.

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David Lisnard a reçu Régions Magazine dans son bureau de l’Hôtel de Ville.

Il faut dire que l’homme ne manque pas d’arguments. A 53 ans, il incarne, pour beaucoup d’observateurs, l’avenir de la droite libérale, au point d’en faire un possible présidentiable pour l’après-Macron. Lui-même, à la tête depuis 2021 de son propre mouvement, “Nouvelle Energie”, continue à se dire d’abord passionné par sa ville de Cannes, dont les électeurs l’ont plébiscité en mai 2020 avec un score pour le moins spectaculaire : 88 % des suffrages au premier tour !

Sur sa ville, sur les réalisations et les projets, sur la lutte contre l’incivisme et pour la laïcité (il a été dès 2016 l’homme de l’“arrêté anti-burkini” sur les plages), mais aussi sur l’Ukraine où il s’est rendu dès le mois de mars, David Lisnard est intarissable. Passionné et, il faut le dire, passionnant.

Régions Magazine : Comment la ville de Cannes et son agglomération, largement tournées vers le tourisme, ont-elles préparé leur redémarrage en sortie de crise sanitaire ?

David Lisnard : L’été 2021 avait déjà marqué un retour quantitatif, et aussi qualitatif, des touristes de loisirs, à l’exception bien entendu des Asiatiques, et aujourd’hui des Russes. Français, Européens, Américains, tous avaient “envie de Côte d’Azur“, et de Cannes en particulier : nous avons reçu du monde, et du beau monde. Ce mouvement semble se confirmer en 2022. C’est fondamental pour nous, le tourisme représentant 50 % de notre PIB.

C’est, bien sûr, plus difficile pour le tourisme d’affaires. Le secteur des salons est particulièrement sinistré. La crise a accéléré la mortalité de certains événements qui étaient déjà en cours d’affaiblissement. Mais nous avons également enregistré quelques très belles surprises, comme le MIPIM (NDLR : professionnels de l’immobilier) en mars, un Salon de très haut niveau cette année où nous espérions 15.000 participants et en avons accueilli 25.000 ! La 75e édition du Festival de Cannes s’est déroulée dans d’excellentes conditions et les perspectives sont également très bonnes pour de nombreux autres événements à venir.

On s’est également rendu compte pendant les périodes de confinement de l’importance de rencontres physiques, à condition d’y apporter de la valeur ajoutée, ce que nous cherchons constamment à faire. La singularité de Cannes nous sert pour l’événementiel : une ville à taille humaine, où l’on peut respecter l’unité de temps et de lieu, avec un réseau de prestataires, notamment hôteliers, de très haut-de-gamme, des conditions de sécurité liées à la vidéosurveillance mais aussi aux consignes sanitaires que nous avons mises en place tout au long de la crise ; et en même temps un équipement unique en son genre, le Palais des Festivals et des Congrès et ses 88.000 m² de surface, le plus grand établissement recevant du public de la région avec le Stade de Marseille…

Nous bénéficions aussi de la présence d’acteurs privés qui vont investir un milliard d’euros en quatre ans sur la Croisette, je pense à la rénovation du Carlton, celle du Martinez, le projet du Palm Beach, mais aussi le Radisson qui va devenir un Hilton. Il n’y a pas d’équivalent en Europe en termes d’investissement hôtelier.

La difficulté pour les entreprises, à présent, va être de tenir en trésorerie. Car le secteur vit depuis deux ans sous perfusion publique, et à un moment donné il leur faudra rembourser les PGE (NDLR : prêts garantis par l’Etat). Il va falloir être très attentif à la façon dont les banques vont accompagner, ou pas, les professionnels du tourisme dans les mois qui viennent.

« Il n’y a pas de contradiction entre le fait de soutenir l’Ukraine et celui d’accueillir des Russes. »

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Dès le 9 mars, David Lisnard s’était rendu dans l’Ouest de l’Ukraine, de Lviv à Ternopil et Ivano-Frankivsk, pour rencontrer des maires locaux et des réfugiés.

RM : Vous avez évoqué l’absence de touristes russes, mais on parle encore beaucoup le russe dans les rues de Cannes. En même temps, vous êtes un des premiers maires français à vous être rendu, dès le 9 mars, sur le territoire de l’Ukraine en guerre.  Comment gérer cette apparente contradiction ?

DL : Il n’y a aucune contradiction à mes yeux. Je connais bien l’Ukraine, je m’y suis rendu une vingtaine de fois, il m’a paru important de voir comment les choses se passaient sur le terrain au niveau de l’aide que nous pouvions apporter, d’où mon déplacement en Pologne et en Ukraine. J’ai immédiatement pris conscience que ces deux pays étaient en train de devenir de gigantesques centres d’aide humanitaire, et qu’il allait falloir les soutenir.

Sauf que là, on parle de cinq millions de réfugiés en moins de deux mois… Donc il faut agir vite, et efficacement, comme l’ont fait de nombreux maires de France. Ici, nous avons ouvert un Centre d’accueil spécial pour ces réfugiés, en lui donnant en priorité une dimension liée au logement, en accompagnant les familles d’accueil et en mettant en place une garantie de loyer dans le secteur privé ; mais aussi à l’emploi, en travaillant directement avec les services de Pôle Emploi. Nous sommes déjà à plus de 900 Ukrainiens accueillis à Cannes, relogés, avec des enfants inscrits dans nos écoles où, il faut le reconnaître, ils se retrouvent parfois en tête de classe alors qu’ils ne maitrisent pas encore le français !

Disons-le sans fausse pudeur, c’est aussi une opportunité d’accueillir ces gens, qui ont vocation à repartir chez eux, mais pas tous. Parmi les personnes accueillies, nous avons des infirmières, des aides-soignants, un pédiatre, qui se sont remis immédiatement au travail sur des emplois vacants. Nous avons même intégré des sportifs de haut niveau dans certaines disciplines, qui vont défendre à la fois les couleurs de l’Ukraine et de Cannes !

Quant aux Russes, soyons clairs : je ne fais pas de “cancel culture” russe, je ne vais pas interdire à notre orchestre de rendre hommage aux grands compositeurs russes ! Il faut faire la part des choses entre Poutine, dont je condamne clairement et nettement l’agression de l’Ukraine, et le peuple russe. D’ailleurs, il faut le savoir, nous avons ici des ressortissants russes qui sont venus donner un coup de main à notre Centre d’accueil pour les Ukrainiens…

Croyez-moi, ce n’est pas plus compliqué à gérer que de faire face aux conséquences de l’arrêté anti-burkini il y a quelques années !

Propos recueillis par Philippe Martin

Lire la suite de l’interview dans le supplément Cannes, actuellement en kiosque avec le n°163 de Régions Magazine.

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