À LA UNE
Philippe Martin
09/08/2020
200809 Regions Magazine Homepage4
Christelle Morançais a été élue président de la Région Pays de la Loire le 19 octobre 2017. Elle avait alors 42 ans.

C. Morançais : “Nous entrons dans la phase de rebond”

73 / 100

La présidente des Pays de la Loire Christelle Morançais met toute son énergie à construire ce « rebond » dont les entreprises régionales vont avoir grand besoin. Elle s’est confiée à Régions Magazine.

Dès le 16 mars dernier, Christelle Morançais s’est retrouvée confinée à son domicile, après avoir été en contact avec une personne testée positivement au Covid-19. Une forme de supplice pour la présidente (Les Républicains) des Pays de la Loire, qui n’aime rien tant que le terrain. Un terrain qu’elle a retrouvé dès que cela lui a été possible, arpentant comme elle le fait depuis cinq ans les vastes étendues de sa belle région, relativement épargnée par l’épidémie de Covid-19 (450 décès à l’heure où nous écrivons ces lignes).

Ce qui a poussé Christelle Morançais à réclamer très tôt au gouvernement un déconfinement accéléré pour épargner le plus possible l’économie mise à mal. Demande (très) partiellement entendue, puisque la région a été classée en vert dès le premier déconfinement : la patronne de l’exécutif régional est estime aujourd’hui qu’on aurait pu anticiper encore davantage.

C’est que la première présidente femme des Pays de la Loire sait ce qu’elle veut. Seule façon d’expliquer une ascension fulgurante en politique : elle n’a vraiment commencé à militer à l’UMP de l’époque qu’en 2011, mais dès les élections municipales de 2014, elle a raté de très peu l’élection de maire du Mans, manquant de détrôner le sortant PS Jean-Claude Boulard. Tout naturellement, elle s’est retrouvée sur la liste emmenée par Bruno Retailleau aux élections régionales de 2015, occupant dès le départ la fonction de vice-présidente en charge de l’emploi, presque logiquement pour cette chef d’entreprise qui a travaillé durant vingt ans dans l’immobilier, terminant à la tête du réseau MegAgence fondé avec son mari.

Nul ne conteste aujourd’hui le leadership de la présidente, même si elle n’a pas souhaité répondre à une seule de nos questions : « serez-vous de nouveau candidate aux élections régionales de 2021 ? ». Il est vrai que Bruno Retailleau avait répondu pour elle dans une interview au journal Le Monde : « C’est une battante qui va surprendre. Dans deux ans, c’est elle qui mènera le combat des régionales ». A 45 ans, derrière son sourire éclatant, Christelle Morançais dissimule à peine une grande détermination, qu’elle a également mise à répondre aux questions de Régions Magazine.

Régions Magazine : La Région des Pays de la Loire a été relativement épargnée par l’épidémie de Covid-19, avec « seulement » 450 décès à l’heure où nous écrivons ces lignes. Ne regrettez-vous pas qu’elle ait toutefois été concernée par le confinement, avec ses conséquences économiques dramatiques, autant que des Régions plus durement touchées ?

Christelle Morançais : Non seulement je le regrette, mais j’ai alerté très tôt les pouvoirs publics, en l’occurrence le gouvernement, pour demander un déconfinement accéléré dès que j’ai vu l’évolution sanitaire de notre territoire. Juste un ou deux chiffres pour vous éclairer : les Pays de la Loire ont enregistré 1,9 % de personnes contaminées, contre 10 à 12 % dans des régions comme le Grand Est ou l’Île-de-France. En revanche notre taux d’activité a chuté de 36 %, c’est-à-dire autant que dans ces deux régions !

On ne mesure pas encore aujourd’hui les conséquences réelles du confinement, car nous sommes en quelque sorte sous perfusion, avec une dose massive de morphine… Mais le réveil va être très douloureux, et les suites risquent d’être catastrophiques. Pour nos entreprises, bien sûr, mais aussi pour notre jeunesse, avec des enfants sans école depuis la mi-mars. On peut s’attendre à des faillites, et à un décrochage massif, en particulier pour les populations les plus fragiles.

C’est pourquoi la Région a décidé d’agir très vite, et très fort.

200809 Regions Magazine Photos4

La présidente du conseil régional a reçu Régions Magazine dans son bureau de l’Hôtel de Région à Nantes.

RM : Juste pour aller au bout de cette question, quelle réponse avez-vous reçu du gouvernement face à votre demande de déconfinement accéléré ?

CM : Je précise que je n’étais pas la seule dans ce cas, la plupart des régions de l’ouest de la France vivaient la même situation. Nous avons posé la question lors de nos rencontres entre Régions de France et le gouvernement, j’ai moi-même interpellé le Premier ministre. Il n’y a pas eu de véritable réponse. Nous avons été simplement placées dans les Régions « vertes » quand on a annoncé le début du déconfinement. Mais c’était déjà beaucoup trop tard.

« Notre plan d’urgence était en trois parties : urgence sanitaire, assistance économique, et désormais, rebond. »

Donc nous avons pris nous-même les choses en mains, avec un plan d’action en trois parties. D’abord répondre à l’urgence. Urgence sanitaire, à travers un « Plan santé » élaboré en concertation avec l’ARS et le Préfet, qui nous a permis de commander et de livrer des masques, du matériel, d’apporter une indispensable assistance logistique. Assistance économique, pour permettre à la majorité de nos entreprises les plus fragiles de rester sur leurs deux pieds.

Nous avons ensuite vécu une deuxième phase. Il nous restait 1,2 million de masques que nous avons distribués aux PME. Nous avons organisé la réouverture des lycées, en préparant la « rentrée » dans chaque établissement mais aussi en distribuant des masques aux lycéens, y compris au niveau des transports en commun qu’ils doivent emprunter.

Je dois bien reconnaître que dans ces différentes étapes, nous avons manqué de visibilité, avec des annonces gouvernementales assez floues, sur lesquelles il nous a fallu anticiper constamment, je pense par exemple à la réouverture des lycées.

Nous sommes maintenant dans la troisième phase, celle du rebond, ou de la relance, comme on voudra ! Les 9 et 10 juillet nous avons voté un plan extrêmement ambitieux, dans trois directions. La protection : renforcer le pouvoir d’achat des salariés, la capacité des entreprises à faire face à leurs difficultés financières. Le soutien à l’économie, avec un appui renouvelé dans les domaines les plus touchés tels que le tourisme, l’automobile, l’aéronautique. Et enfin une accélération supplémentaire sur la transition écologique.

200809 Regions Magazine Photos5

RM : Ce plan, comment l’avez-vous construit ?

CM :  D’abord, je l’ai coconstruit ! J’ai échangé et travaillé avec l’ensemble des acteurs du territoire, les élus régionaux bien sûr, les autres collectivités, les milieux consulaires et les chefs d’entreprise. J’ai fait beaucoup de terrain ces dernières semaines. Je le faisais déjà quand j’étais vice-présidente de la Région, le terrain c’est ce que je préfère et même si je vous reçois aujourd’hui dans mon bureau, sachez que j’y suis très peu !

Donc nous avons conçu un plan en trois temps : du court terme, pour aider les entreprises à reconstituer leurs fonds propres ; du moyen terme, avec un accompagnement sur des enjeux tels que l’innovation ; et du long terme, qui s’inscrit dans la préparation du CPER (Ndlr : contrat de plan Etat-Région), afin d’accompagner notamment la réindustrialisation de notre région. En sachant que celle-ci passe d’abord par une baisse fiscale drastique du coût du travail, une décision que personne n’a prise depuis trente ans, que ce soit la gauche, la droite ou les « en même temps » …

Je vous donne un seul exemple, que je connais bien : Colart au Mans, anciennement Lefranc et Bourgeois, qui avait une chaîne de production de peinture en Chine et qui l’a rapatriée en la robotisant : cela a néanmoins créé de l’emploi ! C’est cela, l’Usine du Futur, et c’est clairement dans cette direction qu’il nous faut travailler.

« Je le dis fermement : je veux être la première écologiste de la région ! »

RM : Vous aviez annoncé à votre arrivée à la tête de l’exécutif régional, vouloir « mettre le paquet » sur la transition énergétique. La crise post-Covid ne risque-t-elle pas de mettre à mal cette volonté affichée ?

CM : Bien au contraire, et dans les mesures que nous allons prendre il y a un très gros paquet sur la croissance verte. Je le dis fermement : je veux être la première écologiste de la région ! Je ne vois pas pourquoi ce serait incompatible avec le fait d’être une élue de droite…

Sans entrer dans le détail, je vous donne quelques mesures : une volonté de développer la filière hydrogène en lui donnant les moyens. Un travail de fond sur la qualité de l’eau, où nous sommes très en retard, avec seulement 11 % d’eau de bonne qualité : nous avons créé la « Conférence ligérienne de l’eau », et allons y consacrer 46 M€.

S’agissant de la biodiversité, voilà un exemple : avec l’ensemble des collectivités concernées, et le concours de certaines entreprises, notre objectif est de planter deux millions d’arbres à l’horizon 2024…

RM : Contrairement à vos voisins bretons, par exemple, vous avez fait partie des présidents de Région qui ont refusé de signer le Pacte avec le gouvernement dit “contrat de Cahors” ? Pourquoi ?

CM : Tout simplement parce nous n’en avions pas besoin. Le « contrat de Cahors » limitait nos dépenses de fonctionnement à 1,2 %, la gestion de la Région fait que nous sommes en-deçà des 1 % d’augmentation. Je n’avais donc aucune raison, ni aucune envie, de me placer sous la tutelle de l’Etat !

RM : Comment se passe la vie démocratique au sein de l’institution régionale ? Comment arrivez-vous à faire vivre votre majorité ? L’ensemble des partis représentés jouent-ils leur rôle d’opposition ?

CM : Je pense pouvoir dire que les choses se passent bien. Nous avons une majorité très large et très diverse, qui va en gros de Sens Commun jusqu’au Modem… Et pourtant ce groupe est resté soudé, et même intact depuis le début de la mandature, puisque nous fonctionnons exactement avec la même équipe qu’au lendemain de l’élection de 2015 !

Je tiens une réunion avec l’ensemble des présidents de groupe une fois par semaine, j’ai travaillé avec eux pour préparer notre « plan de rebond ». Je tiens à souligner une chose importante : j’ai la chance d’avoir des élus très investis, par exemple dans le travail en commission. Sur le plan d’urgence, nous avons tenu une réunion de trois heures, très constructive avec l’ensemble des groupes, et j’ai éprouvé une grande satisfaction à voir ce plan voté à l’unanimité.

La « marque de fabrique Morançais »…

RM : Vous êtes devenue présidente de la Région Pays de la Loire le 19 octobre 2017, succédant à Bruno Retailleau démissionnaire. Vous aviez été auparavant sa deuxième vice-présidente. Joue-t-il encore un rôle actif à la Région aujourd’hui ? Comment fait-on pour assumer une telle succession ? Et vous y attendiez-vous ?

CM : Non, je ne m’y attendais pas du tout ! Comme tout le monde, je savais qu’il aurait un choix à faire en 2017, entre la présidence de la Région et ses fonctions au Sénat, mais je ne pensais pas être concernée par son éventuel départ.

D’ailleurs, je n’ai pas dit oui tout de suite. Peut-être d’abord parce que je suis une femme… J’ai une vie e famille, avec deux enfants qui sont encore jeunes. Je suis attachée à ma ville du Mans, où je pensais poursuivre ma carrière politique, qui est d’ailleurs récente. Et puis je me retrouvais à la tête d’une majorité importante, et diverse, je ne savais pas comment les choses pouvaient se passer dans ce contexte.

J’ai donc d’abord « tâté le terrain » de ce côté, et je dois dire que j’ai tout de suite été portée par l’ensemble de cette majorité, ce qui a déterminé mon choix.

Pour répondre à l’autre partie de votre question, j’ai aussi donné mon accord à partir du moment où je pouvais apporter ma propre impulsion, ce que j’appelle la « marque de fabrique Morançais », à travers ces deux marqueurs forts auxquels je tiens : l’emploi et la transition écologique.

S’agissant de Bruno Retailleau, qui est toujours conseiller régional et qui siège, nous sommes évidemment restés proches, je l’appelle si j’ai besoin de son avis ou d’un conseil ; mais dès l’instant où il m’a proposé de lui succéder, il m’a laissé une totale liberté d’agir.

Quant à moi, je dois dire que cette fonction est passionnante, tout simplement parce que les compétences de la Région sont passionnantes, qu’on y est à la fois dans la vision stratégique et dans le concret des territoires. Ce qui m’anime, ce sont les territoires, j’y passe énormément de temps, c’était déjà comme cela quand j’étais vice-présidente.

Propos recueillis par Philippe Martin

Retrouvez l’intégralité de l’interview dans le supplément Pays de la Loire publié avec le n°154 de Régions Magazine, actuellement en kiosques.

Pour lire la suite abonnez-vous à Régions Magazine
À LIRE ÉGALEMENT
Voir tous les articles