“Je compte sur le tonus des Régions !”
Le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer ne manque pas d’enthousiasme quand il évoque la collaboration entre son ministère et les Régions. Il fait le point pour Régions Magazine.
Propos recueillis par Philippe Martin, photos Hugues-Marie Duclos Régions Magazine
Le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer ne manque pas d’enthousiasme quand il évoque la collaboration entre son ministère et les Régions. Il fait le point pour Régions Magazine.
Jean-Michel Blanquer a, en deux ans et demi, mené à bien plusieurs des réformes qui lui tenaient à cœur : le dédoublement des classes de CP dans les territoires d’éducation prioritaire ; le baccalauréat ; le lycée. Les premières évaluations semblent lui donner raison : le niveau des élèves remonte, n’hésite-t-il pas à affirmer, s’appuyant sur le résultat de récentes études.
Ses fonctions l’amènent à parcourir dans tous les sens la France des Régions, et à travailler avec celles-ci. Il a notamment décidé de leur confier l’information sur l’orientation dans les lycées, l’un des points faibles de notre système éducatif. Sur cette question et plus généralement sur ses relations avec les territoires, il fait le point pour Régions Magazine.
Régions Magazine : Le 28 mai dernier, vous avez signé un accord-cadre avec Régions de France, portant sur le transfert de la compétence de l’information sur l’orientation aux conseils régionaux. Vous avez aussi rappelé qu’en France, un élève sur cinq seulement a choisi son futur métier en s’appuyant sur les conseils d’orientation donnés lors de son cursus scolaire (enquête Credoc)… Pensez-vous vraiment que les Régions pourront améliorer ce faible chiffre, et comment ?
Jean-Michel Blanquer : Tout d’abord il me paraît indispensable que l’orientation vienne s’articuler avec la compétence économique, donc celle qui est du ressort des Régions. Il paraît très logique que celles-ci soient en capacité d’accompagner les jeunes dans leur réflexion sur leur futur métier. Je crois énormément dans cette dynamique de partenariat : à L’Éducation nationale de s’occuper du socle, mais en permettant à chaque Région d’apporter son originalité. Je suis convaincu par leur volontarisme, leur désir de faire. Les recteurs, qui ont une connaissance fine des territoires, me le font d’ailleurs remonter. Et puis je suis beaucoup sur le terrain, je parle avec les présidents de Région, je vois les initiatives qui sont déjà prises dans ce domaine, parfois très différentes d’une région à l’autre… La nouvelle directrice de l’ONISEP (NDLR : il s’agit de Frédérique Alexandre Bailly, ancienne rectrice de l’académie de Dijon) est en charge d’analyser tout ce travail déjà réalisé.
Oui, vraiment, je crois beaucoup dans le tonus que les Régions vont apporter à cette mission si importante pour l’avenir de nos jeunes !
“Pour la compétence orientation, les transferts des personnels de l’Etat aux Régions seront réalisés d’ici à la fin de 2020”.
RM : Les Régions auront-elles les moyens de faire face à cette mission supplémentaire ?
JMB : Tout d’abord elles mettaient déjà en œuvre un certain nombre de moyens dans les lycées, ce qui débouchait parfois sur le montage de belles formations qui ne faisaient pas le plein, faute d’une information préalable suffisante… Mais l’Etat va évidemment contribuer aussi à cette montée en puissance. En apportant un complément d’environ 10 M€, répartis par régions. Ensuite en transférant aux Régions les personnels des DRONISEP (NDRL : il s’agit des Délégations régionales de l’Onisep l’Office national d’information sur les enseignements et les professions), qui dépendront donc directement des conseils régionaux, comme cela a été fait avec les personnels ATOSS à partir de 2004.
RM : Ces transferts sont-ils effectifs ? Les agents en question n’étaient guère enthousiastes…
JMB : Pas plus que les ATOSS à l’origine, mais ils ont changé d’avis depuis… Oui, ces transferts seront effectifs d’ici la fin de l’année 2020, le décret est à la signature. En fait nous transférons les fonctions supports, au choix des personnels, libre ensuite aux Régions de compléter en recrutant d’autres agents compétents.
Après, je tiens à souligner que les investissements ne sont pas uniquement matériels : le fait d’organiser 50 heures obligatoires chaque année, consacrées à l’orientation, et où vont intervenir des représentants de l’enseignement supérieur, des branches professionnelles, des entreprises, tout cela coordonné avec le concours des Régions, va changer le système en profondeur
Je tiens à rappeler aussi qu’au ministère, nous sommes très attentifs au respect de l’organisation territoriale. Ainsi que les présidents de Région nous le demandaient, nous n’avons pas supprimé les Rectorats dans les anciennes Régions, c’est pourquoi vous trouvez encore un Rectorat à Limoges, à Poitiers ou à Amiens. Et nous continuons à leur confier des missions spécifiques, c’est le cas par exemple à Limoges pour la formation professionnelle, avec la création d’un Centre de compétences dédié.
“Pour les dépenses supplémentaires des Régions dans les lycées, liées à la réforme, j’ai souhaité qu’il s’agisse d’investissements et non de dépenses de fonctionnement, afin qu’elles ne tombent pas sous le coup des “Contrats de Cahors”.
RM : Interventions de plus en plus en plus lourdes dans les lycées, rôle accru dans l’orientation, place de premier plan dans la “formation tout au long de la vie” : les Régions jouent un rôle de plus en plus important en matière de formation. Cela ne heurte-t-il pas la compétence régalienne pour l’Etat qu’est l’Education Nationale ?
JMB : Bien entendu, le ministère conserve son rôle fondamental, celui d’un grand service public au service de l’éducation. Je peux d’ailleurs vous dire à ce sujet que beaucoup de ministres européens regardent avec envie ce socle, de nombreux pays ne disposant pas d’un grand service public de l’éducation, aussi structuré.
Ensuite, nous travaillons étroitement avec les Régions, nous accompagnons leurs initiatives. Je viens de rentrer du Grand Est où j’ai visité le lycée 4.0 voulu par la Région et l’académie de Nancy-Metz, nous allons l’accompagner par un CAPES informatique qui s’inscrira parfaitement dans le volontarisme numérique de ce territoire… Tout cela ne heurte pas les compétences des uns et des autres, car cela se fait en parfaite intelligence. Ce que la Région a fait, l’Éducation nationale n’aurait pas pu le faire. Ce que l’Éducation nationale fait, la Région ne pourrait pas le faire.
RM : Selon Régions de France, la réforme des lycées a entraîné un surcroît de dépenses de 260 à 320 M€ dans les budgets de fonctionnement des conseils régionaux (manuels scolaires, aménagements des locaux, etc.) pour cette seule rentrée des classes. Or ces dépenses tombent sous le coup des “contrats de Cahors”, qui limitent à 1,2 % l’évolution de leurs dépenses de fonctionnement et risquent d’entraîner les sanctions de la part du… gouvernement. Ne trouvez-vous pas cela anormal ?
JMB : Je trouvais cela tellement illogique que nous avons agi pour que ce type de dépenses entrent dans la catégorie des investissements, et non de fonctionnement, et sortent donc du Contrat de Cahors ! Cela se fait sur la base d’un décret signé de Gérard Darmanin et de moi-même, et je pense que cela répond à votre remarque et à cette critique des Régions.
Ensuite il est vrai que nous changeons l’organisation et le programme des trois années (seconde, première, terminale) sur deux ans, ce qui représente des coûts supplémentaires importants pour les Régions ; je suis le premier à reconnaître l’effort considérable qu’elles accomplissent dans ce domaine.
Je pense aussi que c’est un sujet sur lesquels les Régions peuvent être incarnées aux yeux des citoyens, et faire apparaître concrètement leurs compétences, parce que leurs décisions ont des conséquences de proximité ; je pense par exemple à la Provence-Alpes-Côte d’Azur, avec la distribution d’une tablette numérique à chaque élève.
C’est dans le même esprit que nous travaillons ensemble, Régions et Education nationale, sur les nouveaux lycées professionnels, qui vont devenir de véritables campus professionnels, ce que j’ai appelé les “Harvard du pro”, avec des moyens renforcés, des incubateurs d’entreprise, des espaces verts, un enseignement professionnel qui “fasse envie”. L’Etat peut participer à l’investissement requis par le biais des Investissements d’avenir, qui vont venir en complément de l’investissement des Régions.Il ne faut jamais perdre de vue que nous visons exactement la même chose : la réussite des élèves, et la réussite des territoires.
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