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Par Philippe Martin
13 février 2018
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© Homepage : Le 9 février, le Premier ministre Edouard Philippe présente les grandes lignes de la réforme auprès de la ministre du Travail Muriel Pénicaud. Ci-dessus : Lors de la rencontre du 15 janvier à Matignon, les présidents de Région avaient eu l’impression d’avoir été entendus par le gouvernement.

Apprentissage : les Régions dépouillées

La réforme présentée par le gouvernement confie au patronat la gouvernance et le financement du système d’apprentissage. Une nouvelle étape de centralisation qui provoque la colère des Régions.

Des mois de concertation, une bataille dans l’ombre entre les Régions et le Medef, de nouvelles propositions mises sur la table lors d’un échange “constructif” entre les Régions et le Premier ministre le 15 janvier à Matignon : tout cela n’aura finalement servi à rien, ou presque. La réforme présentée le 9 février par le gouvernement fait la part belle au patronat, satisfait les principales demandes du Medef, mais prive les Régions d’une bonne part de leurs responsabilités sur l’apprentissage, qu’il s’agisse de la gouvernance ou du financement.

Certes, tout le monde était d’accord sur le principe : développer l’apprentissage, une filière qui affiche de bons résultats s’agissant du retour à l’emploi, puisque sept jeunes sur dix allant au bout de leur contrat trouvent un poste dans les six mois qui suivent. Mais les méthodes proposées différaient du tout au tout : là où les Régions souhaitaient jouer un rôle plus important dans l’orientation des jeunes, le patronat exigeait, selon les mots du patron du Medef Pierre Gattaz, d’être “seul pilote dans l’avion”. Et c’est lui qui a finalement été entendu. D’où la nouvelle colère de Régions de France (lire en encadré).

Que prévoit la réforme ? D’abord, la gouvernance. Désormais, un CFA (Centre de formation d’apprentis) pourra ouvrir sans l’accord d’une Région, ce afin de répondre de façon directe aux besoins exprimés par les branches professionnelles. En gros, un CFA nouvellement créé pourra entrer directement en concurrence avec un lycée professionnel situé à proximité, et proposant le même type de cursus.

Certes, les Régions pourront continuer à jouer un rôle de régulation, à travers un “schéma régional” cosigné avec les branches professionnelles, schéma qui fixera sur plusieurs années le type de formations requises. Mais en aucun cas il ne pourra remettre en cause le principe de libre création des CFA.

Autre point majeur : le financement. La taxe d’apprentissage, dont 51 % était jusqu’ici reversés aux Régions et réinvestis dans les CFA, sera remplacée par une “contribution alternance” en faveur des contrats d’apprentissage et des contrats de professionnalisation. Le produit de ce prélèvement (0,85 % de la masse salariale des sociétés, évalués à 4 Md€) ne transitera plus par les Régions mais sera versé directement aux CFA, en fonction du nombre de contrats signés avec les jeunes.

Manne dérisoire

Pour le gouvernement, dans sa logique de libéralisation du système, il s’agit de “valoriser les centres de formation dynamiques, en adéquation avec les besoins des employeurs”. En revanche, certains CFA, situés dans des zones moins favorisées et qui vivaient grâce aux contributions des Régions, risquent d’être contraints de mettre la clef sous la porte, renforçant la fracture territoriale.

Les Régions conserveront une toute petite partie de la “cotisation alternance” (250 M€), notamment “pour soutenir des CFA implantés dans des zone rurales et des quartiers relevant de la politique de la ville”. Une manne qui risque d’apparaître comme bien dérisoire compte tenu des enjeux en termes d’aménagement du territoire.

Dans le même esprit, le gouvernement permettra désormais à un employeur de recruter à n’importe quel moment, y compris en cassant le cycle de l’année scolaire de l’apprenti. Et ce même employeur pourra rompre un contrat d’apprentissage sans saisir les prud’hommes, alors qu’il y était tenu jusqu’à présent, une fois la période de 45 jours passées dans l’entreprise par le jeune.

Les Régions ont immédiatement “condamné” ce projet, considérant que “cette réforme centralisatrice affaiblit le développement de l’apprentissage”. C’est, à tout le moins, un nouveau et sérieux coup de canif au “pacte girondin” appelé par le président de Régions de France Hervé Morin, et plus ou moins annoncé par le Premier ministre Edouard Philippe.

 


 

Les Régions “condamnent le projet”

Dans un communiqué publié sitôt après l’annonce de la réforme, Régions de France fait savoir que les Régions “condamnent le projet du gouvernement et considèrent que cette réforme centralisatrice affaiblit le développement de l’apprentissage”.

Pour la première fois depuis 30 ans, poursuit le communiqué, une compétence décentralisée et pilotée avec efficacité par les Régions sera très largement centralisée, en contradiction totale avec la volonté affichée du gouvernement de conclure un “pacte girondin” avec les collectivités locales dont les Régions. Le compte n’y est pas pour répondre sur tous les territoires aux besoins et au maintien du développement de l’apprentissage.

Durant ces derniers mois, alors qu’on les annonçait sorties du pilotage de l’apprentissage et qu’on se dirigeait vers une privatisation de cette politique publique, l’intervention déterminée des Régions et de l’ensemble des acteurs locaux de la formation a néanmoins permis de porter dans le débat et auprès du Gouvernement des points comme l’élaboration par les Régions d’un schéma régional de l’alternance ; la nécessité d’une régulation régionale pour assurer la péréquation entre les branches et les territoires financée par une part de la nouvelle contribution alternance ; l’unification, sous la responsabilité des Régions, du versement des aides aux employeurs d’apprentis (…) ; la nécessité de simplifier les normes sur le recrutement et l’emploi des apprentis dans nos entreprises.”

Mais, poursuit le communiqué, “un grand nombre de questions posées ne sont pas résolues : le risque de véritables fractures territoriales dans l’accès à l’apprentissage entre les zones métropolitaines et non métropolitaines (en zone rurale, en zone de montagne, dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville) ; l’inorganisation territoriale de la plupart des branches voire leur absence totale dans les territoires d’Outre-mer pour piloter l’apprentissage ; la complexité engendrée par ce dispositif avec près de 700 branches différentes en responsabilité.”

Les Régions dénoncent par ailleurs le “recul du gouvernement sur la question du transfert aux Régions de la compétence orientation et information des jeunes”. Elles soulignent que “toutes les entreprises seront assujetties à la future contribution alternance (0,85 % de la masse salariale) qui viendra se substituer à la taxe d’apprentissage. Ainsi, les entreprises de petite taille et les artisans, jusqu’alors exonérés, seront assujettis à cette taxe.  Le gouvernement envisage donc d’exercer une pression supplémentaire sur ces TPE au détriment de leur capacité à embaucher et à se développer.”

Dans l’attente du dépôt du texte par le Gouvernement, avec les autres acteurs de terrain de l’apprentissage, les “Régions seront donc extrêmement vigilantes et elles continueront de porter leurs propositions pour une véritable réforme”, conclut le communiqué.

 

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